Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
REVUE DES DEUX MONDES.

à la société anglo-hindoue, est encore aujourd’hui fort considérable. Les seules filles à marier dont la beauté soit rehaussée de quelques avantages de fortune appartiennent à la race demi-noire, mêlée de sang arménien ou portugais, petites-filles ou arrière-petites-filles des anciens commerçans qui fondèrent le pouvoir de la compagnie. Belles, mais sans éducation, prononçant mal l’anglais, déplaçant l’accent des mots et employant des locutions barbares, elles sont négligées, malgré les avantages de leur situation, pour de véritables Anglaises de race, les unes, qui arrivent de Londres, sachant barbouiller les aquarelles d’un album et clapoter sur un piano, les autres orphelines légitimes ou illégitimes d’officiers et employés morts au service de la compagnie. Cette dernière classe, extrêmement nombreuse, remplit toute une maison à Kidderpore, véritable réservoir de filles à marier, très embarrassées d’elles-mêmes malgré la rareté de cette espèce de denrée, car les seules fiancées désirables aux yeux des Anglais sont celles qui viennent d’un pensionnat britannique. »

Mais ce célibat même des Anglais et des Anglaises, célibat qui a ses graves inconvéniens quant à la morale, aboutit à une fécondité illégitime qui augmente démesurément la classe des half-castes, des métis ou eurésiens, comme les Anglo-Hindous qualifient les produits mêlés des deux races. Vrais enfans du pays, ils ne ressemblent ni par le teint, ni par les mœurs, à leurs pères ou à leurs mères. Ils n’ont point les préjugés de caste, et ne partagent pas le stupide mépris des Anglais pour les Hindous. Pendant que le fanatisme religieux s’éteint, pendant que les idées anglaises perdent leur crudité, cette nation nouvelle prend la peine de naître et s’empare de l’avenir. Le mépris dont on l’a long-temps accablée cède enfin à l’ascendant d’une beauté très remarquable qui distingue les eurésiennes. Ces dark-eyed beauties sont admises même dans les bals du gouvernement, et y font grande sensation. La plupart se marient à des Anglais, et la grande œuvre de conciliation s’opère. En définitive, les mariages mixtes sont assez nombreux, et l’on peut citer ceux de la célèbre begum Soumrou, altération du nom allemand Summers, du colonel Charnock avec une veuve hindoue, et beaucoup d’autres. La cour de cette princesse Soumrou est toute composée d’Européens, la plupart, il est vrai, aventuriers assez équivoques, mais qui enfin transmettent à cette lointaine Asie les mœurs de nos latitudes. Un voyageur, étonné d’entendre un grand seigneur hindou, attaché à cette princesse, parler anglais avec un accent plutôt irlandais qu’oriental, apprit de