nation albanaise, jadis répandue jusqu’au Danube et aujourd’hui refoulée dans les montagnes, ne compte plus qu’un million d’ames à peine. Également décimée, la population grecque n’est guère forte de plus de trois millions, y compris les Slaves hellénisés de la Macédoine, les Albanais hellénisés de l’Épire, le royaume grec et les îles. Sans doute le nombre des Grecs doublerait en peu d’années, si la liberté et la concorde revenaient enfin dans la presqu’île ; mais alors les populations moldo-valaques, serbes et bulgares s’augmenteraient aussi proportionnellement, et l’équilibre se maintiendrait.
Ces cinq peuples, les seuls indigènes parmi ceux de la péninsule, et chrétiens presque tous, à l’exception d’une partie des Serbes et des Albanais ou Arnautes, forment donc à peu près un groupe de quatorze millions d’hommes. On pourrait faire entrer dans ce groupe les Turcs comme sixième nation, s’ils n’étaient désormais en trop petit nombre, et s’ils n’avaient constamment vécu en étrangers, campés seulement dans la péninsule, n’en occupant que les citadelles, et n’existant comme population champêtre que dans la Thrace, où l’invasion des agriculteurs bulgares s’étend de plus en plus et les refoule vers Stamboul. Ces anciens dominateurs sont-ils maintenant au nombre d’un million en Europe ? On peut en douter. Quant aux Albanais et aux Bosniaques mahométans, ces peuples indigènes ont à la possession de leurs montagnes des titres aussi légitimes que les chrétiens ; et, le voulût-on, on ne les chasserait pas facilement des châteaux, vrais nids de vautours, qu’ils occupent dans les défilés. Ils ne réclament d’ailleurs que leur propre indépendance, et pour l’obtenir, ils se coaliseraient contre les Turcs, même avec les chrétiens, dont ils parlent la langue et sont les frères renégats. Le Grec, le Bulgare, le Serbe, l’Albanais, le Moldo-Valaque, voilà donc les seules bases sociales de la Turquie d’Europe : ces cinq nationalités gréco-slaves ont des intérêts communs, mais que malheureusement elles ne comprennent pas encore assez. Leur rivalité a toujours causé leurs malheurs ; elle avait déjà détruit l’unité de la péninsule du temps des Romains, et le Turc, comme avant lui le Romain, n’est parvenu à vaincre ces états qu’à l’aide de leurs propres discordes. La seule condition que, même en ce moment, les Gréco-Slaves aient à remplir pour se trouver en état de reconquérir leurs droits, malgré l’Europe entière, c’est d’être unis ; mais la politique ottomane, fondée, comme celle de tous les conquérans, sur l’axiome divide et impera, a toujours su entretenir la désunion, et souvent même l’hostilité, parmi ces peuples. La Turquie ne déjoue depuis trente ans toutes