Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/428

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
424
REVUE DES DEUX MONDES.

ger. D’abord, ceux qui veulent régénérer le monde gréco-slave, en restituant à ses diverses nationalités leur ancienne et complète indépendance sur les ruines de l’empire d’Orient, n’aboutiraient qu’à porter l’anarchie au comble, et rendraient presque inévitables des luttes acharnées entre les peuples rivaux. Chrétien ou ottoman, républicain ou monarchique, il faut donc que l’empire de la péninsule subsiste un et indivisible, si l’on veut échapper au chaos. On ne doit pas oublier non plus que les Gréco-Slaves, tout comme les chrétiens d’Asie, n’accepteront sans combat qu’une organisation par tribus, un système de communes confédérées, qui permette à chaque race de s’administrer à sa manière. Cette séparation des deux sociétés musulmane et chrétienne, soumises au même empereur, mais placées chacune sous ses propres magistrats, contentera au fond même les Turcs. Leur soif de domination est passée ; ils ne veulent plus que vivre en paix, dans l’observance de leur loi, mot synonyme de religion dans tout l’Orient. Or, les réformes tentées jusqu’ici par le divan violent ouvertement cette religion ; elles tendent à placer l’Évangile sur la même ligne que le Koran, à effacer toute distinction entre le ghiaour et le croyant. Et quel bon fidèle ne souhaiterait verser tout son sang pour laver d’un tel opprobre la face du prophète ? Le sultan mine son propre trône en forçant ses concitoyens à recevoir dans leurs rangs les rayas. Il faut que les deux sociétés obtiennent ce qu’elles désirent le plus, c’est-à-dire de ne pas se confondre, de rester pures de tout souffle infidèle, jusqu’à ce qu’étant arrivées par la liberté à une robuste maturité intellectuelle, elles puissent, sans crainte d’altérer leurs élémens propres, se mêler, s’unir, et prendre part aux grands débats de l’esprit humain.

Tel est le génie de la révolution orientale, telle est la tendance qui pousse à l’action les peuples gréco-slaves. La Serbie a exclu les Turcs de son sein ; la Valachie leur est interdite ; la Bosnie, l’Albanie, la Hertsegovine, où les deux sociétés sont mêlées, cherchent à se diviser en deux régions, avec des chefs et une administration distincte, ne relevant que du pouvoir central. À Stamboul, les anciens drogmans de la Porte, qui étaient chrétiens et rayas, ont été remplacés par des interprètes turcs, et tous les efforts de Reschid, alors qu’il était au faîte de la puissance, ne pouvaient empêcher le divan de donner exclusivement à des musulmans les emplois dont il disposait. L’éligibilité des rayas aux dignités de l’état est donc irréalisable. Ne pouvant distinguer le spirituel du temporel, le mahométan regardera toujours comme apostats ceux de ses coreligionnaires qui