temps, lorsque le matin, la viole d’amour à la main, il répétait la chanson dont il avait composé l’air et les paroles :
déjeunant ensuite et partant pour son bureau, où il s’enfonçait dans les paperasses avec une fureur extraordinaire ; irrité contre la corruption, mais, si cette corruption venait d’en haut, forcé de s’y soumettre ; faisant ensuite un tour de parc pour montrer son bel habit de camelot mordoré ; y admirant lady Castlemaine, tout en s’étonnant de son impudence ; s’arrêtant au milieu d’un groupe de gens de cour pour recueillir les bruits de la ville ; marchandant chez un bouquiniste quelques petits livres antiques, et retournant dîner entre sa femme et sa femme de chambre ; après dîner, c’est-à-dire à trois heures, allant au théâtre admirer les célestes coquines de sa majesté notre bon roi ; de là revenant souper, et soupant énormément ; puis rentrant dans son cabinet pour y travailler jusqu’à deux heures du matin ; et comme dénouement de cette étrange vie, long amalgame de laborieuses frivolités, disant sa prière et assurant à sa femme, pour la calmer, que réellement, et sur son ame, il la regardait comme presque aussi jolie que miss Mercer, sa femme de chambre, ou même que lady Castlemaine, la maîtresse du roi.
Joseph Ritson, dont on vient de publier les Lettres posthumes et la vie, ne ressemblait guère au naïf chroniqueur du règne de Charles II. C’était un de ces érudits fous, si amusans à observer et si ennuyeux à lire. Au lieu de passions, ils ont des manies, au lieu de penchans des bizarreries, et au lieu de science je ne sais quelle érudition sèche, désolée, aride, réduite à un détail infini et misérable. Joseph Ritson a écrit sur les fées, sur les pygmées, sur les nains, les géans, les dolmens, les men-hirs, le roi Arthur, Mélusine, le Petit-Poucet et le prophète Énoch. Les titres seuls de ses œuvres sont une comédie ; mais le grotesque de sa vie dépasse la singularité de ses écrits. Jacobin, pythagoricien, vivant de légumes cuits à l’eau, jugeant digne de mort tout homme coupable même de l’erreur la plus vénielle, esprit tellement dénué d’imagination qu’il atteignait le faux par l’exactitude, Ritson donnait la chasse aux faits, et le plus petit fait lui semblait important. Il découvrait avec horreur que l’évêque Perey, dans la réimpression d’une ballade, avait écrit over au lieu d’o’er, et là-dessus il lançait une dissertation. Son anathème tombait sur l’altération la plus frivole de la vérité la moins importante. Il mesurait avec un compas de deux lignes un détail imperceptible, et