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LA REPRISE DU CID.

semens et tous les voiles que l’honneur et les bienséances lui imposent, éclate à tout instant en saillies involontaires et en éclairs inattendus. Plus d’un aristarque avait déclaré d’avance un si grand prodige impossible. C’est, il faut le dire, une bien triste disposition du public, et dont la critique elle-même n’est pas exempte, que cette défiance de l’avenir qui se hâte de fermer aux grands artistes en tous genres les portions du champ de l’art qu’ils n’ont pas encore parcourues. Aux coloristes on interdit l’espoir d’atteindre à la perfection du dessin, aux grands dessinateurs on dénie, jusqu’à preuves faites et parfaites, le pouvoir de devenir coloristes. Reconnaître et louer une supériorité incontestable est le plus complet hommage que puisse se résoudre à payer au mérite notre épilogueuse et languissante faculté d’admiration. Peut-être, au reste, cette triste habitude de marchander la gloire aux talens supérieurs tourne-t-elle, en définitive, au profit de l’art. L’émulation, l’ardeur de la lutte, sont des stimulans si nécessaires au génie, que, quand les succès ont placé un artiste hors de pair, il est bon peut-être que les provocations de la foule et l’incrédulité de ses admirateurs eux-mêmes le mettent incessamment au défi de se surpasser, et qu’à défaut de rivalités extérieures, on lui oppose sa propre gloire comme une borne et un aiguillon. C’est un moyen peu généreux et peu aimable sans doute, mais qui a pour résultat utile de forcer le talent à de continuels efforts et de lui imposer l’obligation de se renouveler et de se compléter sans cesse.

Pour nous, en nous rappelant la manière si touchante, si vraie et, en plusieurs endroits, si sublime, dont Mlle Rachel joue Pauline, nous étions sans inquiétude pour Chimène. Eh quoi ! parce que, toute jeune, Mlle Rachel a excellé à rendre les imprécations de Camille et les emportemens d’Hermione, parce que sa noire prunelle a lancé d’abord les éclairs de la fierté, parce que ses lèvres arquées dardent, quand il leur plaît, les traits de la plus poignante ironie, faut-il refuser à ce regard si expressif, à cette voix si pénétrante, le pouvoir d’éveiller dans les cœurs tout un autre ordre de sentimens ? Faut-il condamner à n’être qu’une adorable furie cette actrice pleine d’avenir qui joue chaque jour avec tant d’ame et de charme Pauline et Monime ? Assurément, dans ce délicieux rôle de Monime d’un dessin si suave, d’une expression si douce, d’une douleur si résignée et si modeste, il n’y a pas la moindre trace de sentimens amers ; et cependant quelle actrice l’a jamais rendu mieux que Mlle Rachel ? Est-il possible, tout en le préservant avec un art infini de la mono-