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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/531

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LA PHILOSOPHIE DANS SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ.

cette notion sur l’espace aurait-elle été acquise ? uniquement par l’étude de l’esprit humain. Ainsi, étudier les idées, c’est souvent, sans qu’on le sache ou qu’on le veuille, étudier les choses, et, dans ce que nous pensons, peut se découvrir ce qui est.

Il est vrai, je me hâte d’ajouter, que bien grande est l’erreur d’anéantir l’espace. C’est que l’erreur est grande aussi de faire de l’espace une abstraction, comme la dureté ou la blancheur. Or, cette dernière erreur qui engendre l’autre provient d’une fausse observation sur la production de certaines idées, c’est-à-dire sur une opération de l’esprit humain. Cette erreur résulte d’une étroite et vague théorie de l’abstraction, qui confond les noms abstraits de la grammaire et les idées innombrables qu’ils représentent au gré du caprice des langues, avec les idées générales et fondamentales dont l’esprit humain ne peut se passer pour concevoir l’existence des choses. Il importe donc à la science de la réalité de bien savoir l’esprit humain. L’analyse de nos idées influe sur la connaissance des choses, et se tromper sur ce que nous pensons, c’est se tromper sur ce qui est. La science de l’esprit humain est en abrégé la science de l’univers.

Un autre exemple manifestera la même vérité. À quelque point que vous poussiez l’analyse des facultés intellectuelles, quelque différentes, quelque nombreuses que vous parveniez à les faire, il vous est impossible de ne pas reconnaître qu’elles sont simultanées. Elles se servent et se modifient mutuellement ; elles se limitent et s’unissent ; dans leur action commune, elles se redressent et se complètent les unes les autres. Dans la pratique, il faut de la sensibilité pour vouloir, de la mémoire pour raisonner, de l’imagination pour réfléchir ; les combinaisons sont infinies. Il suit que non-seulement les facultés se meuvent dans un commun milieu, mais encore qu’elles appartiennent à un seul et même être. En effet, ce n’est pas la mémoire qui sert à la réflexion, ou le raisonnement qui emploie la volonté. Il y a quelque chose qui use de la volonté, de la réflexion, du raisonnement, de la mémoire. Il y a quelque chose qui donne l’unité aux facultés diverses, qui fait leur unité, qui est l’unité même. Nous avons conscience de cette unité, qui est l’unité même. Nous avons conscience de cette unité qui veut et pense, qui juge et imagine, qui agit enfin : c’est ce qu’on a appelé l’unité consciencieuse du moi. Le moi est un ; le moi est indivisible. Cette unité est consciencieuse, c’est-à-dire que le moi se sent un, et, dans le passé comme dans le présent, dans la rêverie comme dans la passion, n’aperçoit en lui-même ni interruption ni duplicité ; il s’assure en