chant à tout prix la vérité immuable, et ne sachant l’apercevoir que dans un dogme en quelque sorte matériel, on a sacrifié à l’immuabilité de ce dogme le libre jeu, le droit des facultés humaines, et détrôné la raison de qui elles relèvent ? Aux uns comme aux autres, n’est-il pas vrai que ce qui manque en principe c’est une philosophie politique ?
Le bon génie de la France lui a épargné le triomphe définitif d’aucune doctrine violente. Dès que les partis menacent de s’abandonner à cette logique aveugle qui asservit conscience et raison au joug des conséquences extrêmes, le bon sens public s’émeut et prend sous sa garde l’ordre, la loi, la société. Il veille sur tous les intérêts à la fois, et s’efforce incessamment de maintenir dans la juste mesure les prétentions rivales et les doctrines opposées. La société jette pour ainsi dire son sceptre entre les combattans, et s’interpose à ses propres périls entre les fureurs publiques. L’expérience, l’instinct de conservation, la préservent des dangers visibles ; mais est-ce là une garantie suffisante contre l’action lente des faux principes, ou l’invasion des passions victorieuses ? Lorsque le temps est au calme, lorsque la lutte n’est point au combat, et que les partis ne représentent que des idées, les esprits, balançant entre les doctrines contendantes, ne savent ni prononcer ni choisir, et tantôt acceptent des principes dont ils évitent le danger par l’inconséquence, tantôt tombent dans une incertitude politique, dans une incrédulité sociale qui perdrait tout si l’intérêt commun ne prévalait contre les faiblesses du scepticisme. Mais l’intérêt est un mobile changeant, toujours il peut céder avec une parfaite conséquence à l’instance d’un plus pressant intérêt ; jamais une société n’a été inspirée uniquement par la prudence qu’il dirige. La vertu, l’honneur, la crainte, ont été par un grand esprit institués les principes de certaines formes de gouvernement. Ni l’histoire ne présente, ni l’imagination ne conçoit un état de société dont le principe serait l’intérêt, fût-il monté en grade et nommé l’intérêt bien entendu. On sait des nations guerrières, patriotes, religieuses ; on ne se figure pas aisément une nation qui ne serait qu’intéressée. L’intérêt, après tout, ressemble beaucoup à la crainte, ce honteux ressort du despotisme, et s’il est vrai qu’il ait quelquefois enfanté des sacrifices, inspiré le dévouement, c’est qu’il empruntait alors à la nature humaine des principes plus nobles que lui-même, des principes désintéressés qui se mettaient passagèrement à son service. Le courage, la persévérance, la fidélité, l’honneur, l’enthousiasme, se sont souvent, faute de mieux, offerts comme instrumens aux spéculations d’une prudence vulgaire ;