L’arrivée à Naples bouleverse toutes ces idées. À mesure qu’on approche, on est frappé de la fertilité des campagnes et des riches cultures qui contrastent de toutes parts avec la stérilité des environs de Rome. Peu à peu le mouvement de la route s’accroît ; on voit passer rapidement à ses côtés un grand nombre de ces chars à trois places qui contiennent toujours sept ou huit personnes, juchées on ne sait comment, sur le marche-pied, auprès du cocher, partout où il est possible de s’accrocher avec le pied ou avec la main. En entrant dans la ville, on voit s’ouvrir de tous côtés de longues rues, on traverse la place du marché où la foule est aussi pressée que du temps de Masaniello, on débouche sur le port qui paraît plein de navires, on passe devant le môle, le château neuf, les casernes, l’hôtel des ministères, le théâtre de San Carlo, l’arsenal ; on aperçoit la rue de Tolède encombrée de voitures dans une longueur d’une demi-lieue, on traverse la place du Palais, le quai de Sainte-Lucie tout couvert de peuple, et on arrive au quartier des étrangers, à Chiaïa, c’est-à-dire dans une rue magnifique, bordée d’un côté par de riches hôtels, et de l’autre par un jardin public qui s’étend le long de la mer, dans la plus riante situation du monde. Il est difficile de n’être pas étourdi de cette immensité, de ce bruit, de cette multitude, de ces édifices, de ces larges places, de cet ensemble qui vous rappelle à la fois par tous les moyens que vous êtes dans une ville de quatre cent mille ames, la troisième de l’Europe.
Un second étonnement ne tarde pas à s’emparer du voyageur qui arrive à Naples avec les opinions reçues qu’on y apporte ordinairement. À peine installé, et après avoir jeté un coup d’œil sur la baie dont le Pausilippe et le Vésuve forment les deux bouts, l’amateur de pittoresque se met à la recherche de ces fameux lazzaroni dont il a tant entendu parler, et qui passent pour le type le plus accompli de la misère insouciante et paresseuse. On lui montre bien sur le môle quelques mariniers, vêtus d’une chemise et d’un pantalon de toile blanche, qui écoutent, assis en cercle, les récits d’un improvisateur, ou, sur le quai de Sainte-Lucie, quelques pauvres diables, comme il y en a partout, qui jettent un œil d’envie sur les coquillages ou fruits de mer étalés de tous côtés et sur les grandes chaudières de macaroni fumant ; mais des lazzaroni proprement dits, de ces mendians poétiques qu’il espérait voir couchés par milliers sur le sol, il n’y en a plus. Dans ce pays du farniente, tout le monde a l’air de faire quelque chose ; si l’on rencontre des oisifs, ils ont plutôt l’attitude de gens aisés qui se délassent que celle de malheureux qui