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armes l’Europe et agiteraient l’Italie, il veut être en mesure d’y prendre la part qui lui conviendra ; il a raison encore. Mais y a-t-il une si grande différence, même dans ce but, entre une armée de vingt à vingt-cinq mille hommes en temps de paix, qui pourrait toujours être portée à soixante mille en temps de guerre, et celle qu’il entretient aujourd’hui ? Quoi qu’il fasse, il ne sera jamais qu’une puissance militaire du second ordre, condamnée à ne prendre parti qu’après tout le monde. S’il veut sortir du rang que lui assigne la nature des choses, il sera tout aussi impuissant avec son armée actuelle qu’avec une force bien moins considérable : Murat avait quatre-vingt mille hommes, et il a été facilement réduit. Si au contraire il veut se renfermer dans le rôle qui lui appartient, il n’a pas besoin de tant de troupes ; il est suffisamment défendu avec moins par sa situation géographique.

Ce n’est pas que je partage les préjugés répandus en Europe sur les armées napolitaines. Il y a ici une distinction à faire, et cette distinction confirme ce que je viens de dire. Ce n’est pas précisément la bravoure qui manque au soldat napolitain, c’est l’esprit militaire proprement dit. Les troupes napolitaines se sont montrées aussi braves que d’autres dans des circonstances données ; on les a vues partager glorieusement les fatigues et les dangers de l’armée française en Russie et ailleurs. Que leur a-t-il donc manqué jusqu’ici pour le développement de l’esprit militaire ? Le sentiment d’un rôle guerrier à remplir dans le monde. Le lazzarone de la capitale n’avait rien à perdre, partant rien à défendre. Le paysan des Calabres et des Abruzzes était individuellement plus énergique ; mais, quand ce paysan devenait soldat, il n’avait pas cette confiance dans la puissance de son pays, qui fait l’esprit militaire. L’auront-ils désormais ? Oui, pour un certain but ; non, pour un autre. Le Napolitain a maintenant une patrie, et il la défendrait, j’en suis sûr, plus courageusement qu’il ne l’a fait jusqu’ici, si elle était attaquée. Si on lui demande plus, on ne l’obtiendra pas. La nature ne l’a pas fait pour être agressif, il ne le sera jamais. Voilà pourquoi le roi fait bien d’avoir une armée ; voilà aussi pourquoi il est inutile qu’elle soit si forte.

Le roi de Naples me paraît avoir négligé, pour s’occuper uniquement de l’armée de terre, ce qui aurait pu garantir avec plus de certitude son indépendance et lui donner un plus haut rang en Europe. Je veux parler de la marine. Ce n’est pas du côté de terre que le royaume de Naples est vulnérable, c’est par mer. Autant il est gardé contre les invasions continentales, autant, il est livré aux insultes ma-.