Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/637

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
627
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

de ses rêveries, pour se livrer à une entreprise active et violente parmi toutes les entreprises humaines. Vilhelm s’est mis dans l’esprit d’écrire à lui seul un pamphlet périodique, et pour concilier son amour de l’air, du ciel et de la paresse avec cet amour de bruit et de mouvement qui vient de rentrer dans son cœur, il a imaginé d’écrire sur Paris en restant le plus possible à Étretat. D’où il résulte que le genre de pamphlet qu’il a créé est quelque chose de bizarre et d’inouï. Parfois je me dis : Peut-être, s’il a embrassé ce nouveau métier, c’est qu’il y a maintenant à Étretat un maire et un capitaine de la garde nationale qui rédigent eux-mêmes leurs discours. C’est une industrie qui remplace celle qu’il a perdue. Si je le croyais, je parlerais encore de Geneviève et de Clotilde, puis je finirais là mon article.

Un critique que nous avons déjà nommé se plaignait avec amertume et presque avec désespoir de ce que l’esprit d’analyse s’était emparé avec tant de violence de toutes les facultés de son ame, qu’il lui gâtait la plupart de ses plaisirs C’est lui qui disait d’une femme « La jambe est mauvaise, » et ne pouvait plus aimer cette femme, quoique dans tout le reste de son corps les principes du beau fussent observés. Il y a peut-être quelque ambition à se plaindre d’une souffrance que peu d’hommes seraient en état de ressentir ; mais, en admettant que ces plaintes fussent fondées, et je suis persuadé qu’elles l’étaient, celui qui les faisait entendre souffrait d’un mal bien réel, quoique fort profitable à son métier. Loin d’avoir à faire à notre organisation des reproches de cette nature, nous ne nous sentons au contraire que trop disposé à un abandon complet des règles de l’esthétique en faveur de tout ce qui nous charme et nous émeut. Un sourire qui ne grimace pas dore pour nous des pages entières. Pour nous, une larme efface plus de fautes, dans le livre qui nous l’a fait verser, que les pleurs victorieux de la pénitence n’effacent de souillures devant le tribunal de Dieu. Voilà pourquoi l’expression de la sympathie nous vient souvent là où l’on s’attendrait peut-être à trouver celle du blâme, quand nous parlons des romans de M. Alphonse Karr. L’analyse, comme chacun sait, n’est pas autre chose qu’un scalpel ; comment voulez-vous que j’enfonce un scalpel là où il y a de la chaleur et de la vie ? C’est ce que je me suis déjà dit tout à l’heure, c’est ce que je me dis encore à côté de Geneviève et de Clotilde. J’espérais que c’étaient deux corps inanimés, et qu’il serait facile d’y faire pénétrer les instrumens tranchans de la science ; mais voilà que de ces yeux et de ces lèvres sur lesquels je me penchais comme sur des yeux éteints et des lèvres mortes, il s’est échappé