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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

de laquelle nous vivons. Les rendez-vous dans les petites maisons, les soupers, les duels, tous les incidens variés qui défrayaient la chronique du XVIIIe siècle, ont disparu de nos mœurs. Il est resté dans la jeunesse une brutale énergie pour le plaisir qui se dépense d’une façon bruyante dans les mêlées homériques du carnaval ; mais, pour peindre ces saturnales, c’est le vers de Pétrone qu’il faudrait, non pas la phrase de Figaro. Ce qui fait tout le charme des gazettes médisantes, c’est le mystère à moitié soulevé des aventures que l’on raconte : ceux qui se souviennent de la Confession d’un enfant du siècle, un des plus beaux livres de ce temps-ci, savent quel caractère hardi et vaillant a pris la débauche pour une génération toujours avide des dangers que n’offre plus la carrière du soldat. La débauche n’est plus cette divinité musquée dont les contes badins de Voltaire suffisaient à charmer les oreilles, c’est une virago comme cette liberté que l’auteur de la Curée entrevit il y a douze ans ; elle a besoin, elle aussi, des cris bruyans et des puissantes étreintes. De petites nouvelles sur son compte sont ce qu’auraient été de petits vers sur la déesse en bonnet phrygien de 93. Puis le plus charmant élément de scandale, le libertinage élégant des femmes, n’existe plus de nos jours. Les vertus conjugales fleurissent à côté de la licence des mœurs. La race des femmes galantes, comme Mme de Jully et Mlle d’Épinay, est maintenant aussi anéantie que la neige d’autan. Les tendres présidentes, les audacieuses marquises, les sémillantes bourgeoises, ont disparu avec la chaise à porteur et le loup de velours noir. Les femmes ont encore des intrigues, mais ces intrigues sont beaucoup plus rares, et d’ailleurs il n’est plus permis de les dévoiler. On se met sous l’abri des grandes ailes qu’étend l’ange des romanesques amours, et on ferme la porte aux petits cupidons indiscrets qui, dans les poésies de Dorat, soulèvent les rideaux des alcôves. En un mot, toutes les femmes dont l’inconduite serait piquante ont des maris ou des amans qui prennent au sérieux leur métier. Quant à celles qui s’en vont, visage découvert, aux grandes rondes du sabbat, elles peuvent inspirer des odes humanitaires, mais elles ne sont d’aucune ressource pour le nouvelliste.

Le nouvelliste ! comment se fait-il que M. Karr ait jamais pu ambitionner ce titre. Eh ! mon Dieu ! c’est parce qu’il sent si bien lui-même ce qu’il y a de desséchant et de mortel dans l’atmosphère où il s’est placé, qu’il se donne tant de peine pour y faire pénétrer comme des bouffées d’air frais et matinal les vivifiantes émanations de la poésie. Mais, hélas ! ce sont des efforts perdus ; dans l’air où il veut l’introduire, la poésie est étouffée. Dernièrement je sentis un vif mouvement de curiosité en rencontrant parmi ses petits livres un