se complaisant dans une lutte de chaque moment contre des difficultés qu’il semblait se créer à plaisir ; M. de Laberge, pour arriver à cette perfection qu’il ambitionnait, comptait sur l’avenir, et l’avenir lui a manqué.
Cet artiste remarquable vient de mourir à trente-cinq ans. Comme Géricault, Enfantin et Bonington, il est mort victime du zèle qui le dévorait, avant d’avoir pu se placer au rang auquel ses rares facultés lui permettaient de prétendre, et sans avoir dit son dernier mot.
Nous avons suivi avec un intérêt constant les tentatives persévérantes du jeune artiste, nous avons sincèrement applaudi à ses pré-succès, nous l’avons conjuré plus d’une fois, et surtout dans ces dernières années, de se montrer moins difficile pour des œuvres qu’il refusait de faire connaître, les regardant comme incomplètes, tandis qu’elles péchaient peut-être par un défaut tout contraire ; nous l’avons, en un mot, apprécié comme artiste et nous l’aimions comme homme. Il doit donc nous être permis de lui consacrer un dernier souvenir ; les pages suivantes ne seront peut-être pas d’ailleurs sans intérêt pour l’histoire de l’art.
Vers 1825, l’atelier de M. Victor Bertin était le rendez-vous de tous les jeunes gens qui se livraient d’une manière sérieuse à l’étude du paysage. M. Victor Bertin, trop exalté sans doute dans son temps, trop dédaigné depuis, était à la fois le meilleur des maîtres et le meilleur des hommes. On a pu contester quelques-unes des qualités de son talent, l’accuser, à tort ou à raison, d’uniformité, de froideur et d’afféterie : on lui a du moins reconnu une entente sévère des lignes, un noble et savant agencement des masses, et, comme professeur, on ne l’a jamais attaqué. M. Victor Bertin aimait son art et savait l’enseigner. Nos paysagistes les plus distingués sont presque tous sortis de son école.
Je me reporte à l’une de ces heureuses journées de 1825, où, exclusivement épris des charmes de l’art, nous en goûtions les premières joies ; où, confinés volontairement, pendant des journées entières, dans l’atelier du professeur, nous nous livrions avec toute la ferveur de la jeunesse à l’étude d’une masse d’arbres, d’un fond de montagnes, ou d’un vieux mur en ruines. Je vois encore, durant l’une de ces laborieuses séances, la porte de l’atelier s’ouvrir : un grand jeune homme fort timide entre, et se place à mes côtés ; je le vois couvrir de traits informes le papier qu’il vient de déployer, et recommencer vingt fois un contour qu’il ne peut saisir. Ce jeune homme, c’était M. Charles de Laberge. Son début, comme élève,