1840, époque de la première expédition anglaise dans la rivière de Canton, jusqu’au moment où j’écris.
On sait aujourd’hui quelles circonstances ont amené la rupture des relations amicales, si je puis m’exprimer ainsi, qui existaient depuis si longtemps entre l’Angleterre et la Chine. Ces relations consistaient en la permission, accordée par la céleste dynastie à la Grande-Bretagne comme à toutes les nations étrangères, de commercer avec la Chine. La Russie et une ou deux parties de l’Inde étaient exceptées de cette faveur. Le motif de cette exception appliquée à la Russie était les relations qu’elle entretient avec la Chine par la Tartarie. Vous savez que la cour de Pékin tolère dans sa capitale la présence d’un archimandrite russe et d’une légation ou plutôt d’une commission commerciale qui se renouvelle, je crois, tous les dix ans. Probablement le gouvernement chinois a pensé qu’il y avait déjà assez de danger à laisser une porte, quelque bien gardée qu’elle fût d’ailleurs, ouverte à l’influence russe, et qu’il serait imprudent d’avoir à la surveiller à la fois aux deux extrémités de l’état.
C’est sous l’empire de la même susceptibilité que les bases du commerce maritime étranger ont été arrêtées. La politique chinoise n’a pas manqué d’entourer la concession qu’elle faisait de toutes les précautions qui lui ont paru nécessaires pour paralyser le mauvais effet qu’elle pouvait produire. Ainsi un seul port, Canton, fut ouvert aux navires des nations lointaines. On accorda aux négocians barbares la permission d’élever quelques factoreries sur un point très resserré de la ville ; on leur permit d’y résider pendant six mois de l’année, temps jugé nécessaire pour la vente et l’achat ; on leur défendit d’amener leurs familles avec eux, de crainte que la vie ne leur parût trop douce sur cette terre privilégiée. Un réseau de restrictions de toute espèce les entoura dans cette sorte de lazaret, et, si parfois les autorités chinoises semblèrent se relâcher un peu de leur rigide surveillance, elles eurent soin de conserver intact l’esprit de la loi en la notifiant chaque année aux étrangers. La ville intérieure leur fut fermée, on les obligea à prendre des compradores ou majordomes chinois, introduisant ainsi jusque dans la vie privée un système de méfiance et d’espionnage.
Les précautions ne s’arrêtèrent pas là. On craignit la présence des navires étrangers dans le voisinage de Canton. On les fit arrêter à douze milles de la ville. On fixa leur ancrage auprès d’une petite île, Whampoa ; on défendit même aux négocians de se servir de leurs grandes embarcations pour transporter les marchandises de Canton à bord de leurs navires. Ils durent faire usage de leurs bateaux chinois et obtenir à l’avance la permission de l’autorité supérieure. La police chinoise suivit les étrangers jusque dans la cabine de leurs bâtimens. Chaque navire fut obligé de prendre un comprador et un interprète et de payer leurs services imposés à des prix énormes. Les douze milles qui séparent Whampoa de Canton furent garnis de bateaux mandarins ou de guerre, d’embarcations armées de la douane et de postes de douaniers. Il en fut de même au haut de la rivière. Toutes les démarches des