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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/697

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REVUE. — CHRONIQUE.

Ce chant matinal de la Provence a d’abord son écho en Italie ; et comme dans toute littérature, il est un accent fondamental, un genre de poème qui donne le ton à tout le reste, tels que le psaume chez les Hébreux, l’ode, l’hymne chez les Grecs ; de même l’originalité italienne semble sortir tout entière de la canzone, du chant des troubadours, du sonnet, de ces cantiques d’adoration pour une créature choisie comme médiatrice entre l’homme et Dieu. Tout le poème de Dante tend vers Béatrix ; et dans le génie mélodieux de l’Italie, depuis les premiers commencemens jusqu’à nos jours, vous pouvez suivre une série non interrompue de ces cantiques terrestres qui forment une sorte de chœur continu duquel se détachent çà et là quelques voix immortelles. Si la poésie des Hébreux est celle de Jehova, si la voix de l’église est celle du Christ, la poésie italienne, au moins dans ses origines populaires, est donc la poésie de la madone ; madone, il est vrai, tour à tour sévère, solennelle, souriante comme celles des basiliques de Michel-Ange et de Raphaël. Et je remarque cette différence entre le développement de la poésie et de la peinture en Italie, que, tandis que la première cherche incessamment ses sujets, ses conceptions, ses idées, dans la religion, la seconde, depuis Dante, a déserté l’église. Quand je vois les peintres, les sculpteurs, s’attacher ainsi exclusivement à reproduire dans ses moindres détails la vie du christianisme, je me demande pourquoi les poètes ont si tôt quitté cette voie, pourquoi ce n’est pas à l’ombre de la papauté plutôt qu’ailleurs, qu’ont été composés un Paradis perdu, une Messiade italienne, au lieu d’un Décaméron ou d’un Roland furieux. Est-ce donc que Dante avait épuisé la poésie du dogme chrétien ? Non, apparemment. La vérité est que le peintre, absorbé par la foi, était encore agenouillé devant le modèle sacré qu’il représentait, lorsque déjà le poète s’était relevé et cherchait ailleurs la vie et l’inspiration. Il redoutait les sujets sacrés dans lesquels sa fantaisie aurait été gênée par l’orthoxie. Rassemblez par la pensée tous les poèmes de l’Italie, et demandez-vous sincèrement si vous retrouvez là le sceau profond, l’empreinte d’un établissement aussi extraordinaire que la papauté ; si toutes ces œuvres ont dû nécessairement être composées là, à l’ombre du Vatican, dictées par un successeur de Grégoire VII. Évidemment vous ne retrouverez rien de cette impression dans un Boccace, un Arioste, un Pétrarque, même dans le génie romanesque du Tasse. Comment des imaginations aussi indépendantes, aussi libres, aussi fantasques, ont-elles pu naître, grandir, là où la pensée humaine ne marchait qu’en tremblant ? Et ne voyez-vous pas aussi que c’est précisément là ce qui fait la grandeur, l’originalité, de cette poésie ? Il est un pays sur la terre où l’esprit humain a fait plus que nulle part ailleurs acte de dépendance, de soumission absolue, où ce principe de dépendance est marqué, gravé, sur toutes les murailles ; et c’est dans le même lieu que l’imagination se fait pour elle seule un monde, un empire privé, dans lequel elle peut tout, où elle ne rencontre jamais la barrière du monde réel, où le poète crée, détruit, nie ses propres miracles, au milieu de tous les genres de libertés