important que le malade demeure immobile. Aussi, pour prévenir de sa part les mouvemens involontaires que la peur ou le dégoût des reptiles pourrait provoquer, on lui administre quelquefois une dose d’opium. Au bout de deux à quatre heures de sommeil on le retire de la caverne, et on recommence les jours suivans jusqu’à la parfaite guérison, qui ne se fait pas attendre. »
En fait de ridicule et d’extravagance, il serait difficile de trouver quelque chose de plus satisfaisant. Le médecin moderne sourit en lisant cette recette, et se réjouit en son cœur d’être né à une époque où les progrès de la méthode scientifique ont purgé la médecine de ces pratiques superstitieuses. Il s’étonnera que de telles rêveries aient pu trouver crédit auprès des savans. Il prouvera admirablement, s’il consent toutefois à discuter le fait, qu’aucune théorie supportable ne peut justifier une médication de cette nature ; il mettra en avant tout ce qu’on sait ou croit savoir sur l’éléphantiasis d’une part, et de l’autre sur les serpens, et il démontrera victorieusement qu’il n’y a aucun rapport imaginable entre cette maladie et ces reptiles. Si on allègue les expériences, il demandera par qui, comment, dans quelles conditions ont été faites ces prétendues expériences ; il fera remarquer l’extrême invraisemblance de cette convocation de serpens ; il voudra qu’on lui donne détail de chaque cas dans toutes ses circonstances, qu’on indique le nombre des malades et celui des serpens, qu’on signale les précautions prises pour écarter toutes les causes d’erreur, qu’on montre enfin que cette croyance est une conclusion légitimement déduite des faits observés. Et après avoir épuisé son arsenal d’objections, il conclura lui-même que l’histoire de la caverne n’est qu’un conte de vieille femme, que l’ignorance et la crédulité les plus honteuses ont pu seules accréditer.
Nous sommes tout-à-fait de l’avis de ce médecin. Cependant il importe à notre but de remarquer que, dans la pensée des médecins de ce temps, cette médication avait une signification toute différente. Elle y prenait une forme scientifique régulière. Sa crédibilité se justifiait suffisamment par sa liaison avec des dogmes physiologiques et pathologiques universellement reçus, par sa conformité avec d’autres faits d’un genre analogue précédemment connus. Théoriquement elle était parfaitement explicable par les idées alors en vigueur, et son introduction dans la science courante n’avait rien d’insolite ni d’extraordinaire. Comme simple observation, elle était attestée par des témoignages auxquels la critique historique d’alors ne trouvait rien à redire. C’était un fait de notoriété publique, cer-