en Angleterre, Martin Luther en Allemagne. Nés tous entre 1465 et 1491, morts entre 1529 et 1553 ; parcourant la même carrière, le même espace, les mêmes vicissitudes dans des climats différens, avec des fortunes et des résultats divers ; — n’est-ce pas merveille pour le philosophe de voir poindre, à si peu de distance l’une de l’autre, ces quatre rébellions du corps insurgé, ces quatre prêtres, dont deux aujourd’hui assez obscurs ont brillé autrefois, tandis que deux autres, Rabelais et Luther, demeurent aussi éclatans que Lucien de Samosate ou le comte de Mirabeau ?
En 1483, un jour de foire publique, dans le village d’Eisleben, naquit en Allemagne l’enfant de deux pauvres mineurs saxons. Il s’appelait Luther. Il n’avait pas un pfenning : il demanda l’aumône. La violence de ses jeunes passions combattit l’ardeur de sa première foi, et, dans l’espérance de vaincre les tempêtes de son ame, il alla à Rome escorté de la misère, rude conseillère et grande institutrice. Il y alla à pied, du pain dans la besace, le bâton à la main, chantant sur les routes pour que les bonnes femmes des villages lui jetassent quelques liards. Il était pieux (ich bin ein frommer mœnch gewesen) ; il luttait contre une nature ardente, vigoureuse, impétueuse, avide. En allant à Rome, il croyait y trouver la paix des sens, le baume de l’ame, l’essence de la moralité catholique ; il espérait, dans sa jeune illusion, voir un paradis peuplé d’anges s’ouvrir au pied du Vatican. Jules II régnait sous la tiare. On sait le reste. L’adolescent vit cette Rome de près, ville sur laquelle tant de vices séculaires avaient passé. Il repartit, plein de courroux secret, l’esprit aigri, l’ame désolée et prêt au combat. Bientôt tout ce que Rome consacrait, il le détruisit ; tout ce que Rome condamnait, il l’adopta. Il prêcha le mariage avec une ardeur d’expression lascive ; il releva l’autel des voluptés ; il vengea le corps et la matière de la longue servitude qui les avait écrasés. Il prodigua, comme Skelton et Rabelais, la raillerie, l’épigramme, la comédie, la caricature et la violence, pour renverser ce « papelet, ce papegaut, ce papelard, cet âne, cet ânon, cet ânillon de pape, » qu’il avait résolu de détruire. La grandeur de la révolution accomplie a fait oublier les armes employées par cet homme puissant. C’étaient précisément celles de Skelton et de Rabelais. Son but était le même, ses moyens étaient analogues ; mais il a été le héros dans le drame dont les autres n’ont été que les comparses ou les licteurs.
Cette même année 1483, qui vit naître Luther, donna le jour à un autre enfant, que sa famille pauvre destina aussi à la prêtrise ; je veux