un concours de circonstances bizarres, l’évangile, ou plutôt le livre réputé tel, sur lequel nos rois prêtaient serment à Reims, venait de la Bohême. C’était un manuscrit tracé par un saint bohême, saint Procope, abbé du monastère de Sasarva (cercle de Kaurzim), vers l’an 1010 ou 1040. Le saint abbé avait passé une partie de sa vie à copier ces feuillets. Quelques siècles plus tard, en 1395, l’empereur Charles IV, fondant le couvent d’Émmaüs, à Prague, ne trouva rien de mieux, pour illustrer sa fondation qu’il plaçait sous l’invocation de saint Jérôme, que de lui faire don de cette relique. Un moine du nouveau couvent, qui avait une belle main, ajouta au manuscrit de nouvelles pages. Le livre, ainsi grossi, fut relié en or, orné de pierreries, revêtu de pieux restes des plus grands saints. Transporté hors de Prague, pendant les guerres qui dévastèrent la Bohême, à l’époque des Hussites et au temps de Gustave-Adolphe, le riche manuscrit tomba au pouvoir des Turcs, qui, le trouvant de bonne prise et le regardant comme un joyau, l’emportèrent à Constantinople. Là il fut signalé au cardinal de Lorraine comme un livre saint en captivité. Le cardinal, dans un mouvement de piété, le fit racheter et l’offrit à la cathédrale de Reims, où il fut accepté comme un évangile orthodoxe, et appelé, comme tel, à jouer le premier rôle dans la plus éclatante et la plus imposante des cérémonies de la monarchie française. Quelques lettrés le disaient grec, d’autres le tenaient pour arménien. En 1717, Pierre-le-Grand, passant à Reims, voulut voir ce texte sacré ; il reconnut qu’il était en langue slave. Le magnifique volume n’en figura pas moins comme un évangile au sacre de Louis XVI. Au plus fort du vandalisme révolutionnaire, messieurs du culte de la raison le dépouillèrent de sa splendide reliure. L’auguste parchemin fut jeté au grenier et même égaré pour quelque temps. Au consulat, il passa dans la bibliothèque de la ville de Reims. Depuis lors, il a été examiné, et le résultat de cette sorte d’autopsie, a été qu’en effet c’était un livre religieux, écrit de la page 1 à la page 36 d’une première main, celle de saint Procope, en caractère cyrillien de la langue slave, et de la page 36 à la page 94 de la main du moine resté inconnu du couvent d’Emmaüs, en caractère glagolite, ce qui sent l’hétérodoxie, car l’alphabet glagolite avait la préférence des fidèles du rit grec, qui affectaient de s’en servir, par opposition à l’église romaine. Il contient des homélies et des versets de l’Évangile[1].
- ↑ L’ancienne langue de l’église slave avait deux alphabets différens, le cyrillien et le glagolite. On ne sait lequel des deux est le plus ancien. Il est vraisemblable que les apôtres slaves, Cyrille et Méthode, qui moururent à la fin du IXe siècle,