ambitieux ; mais à Paris, dans le centre de la liberté française, Paoli, s’il est bien connu, sera le patriarche de la liberté, le précurseur de la république française ; ainsi pensera la postérité, ainsi le croit le peuple. Rendez-vous à ma voix ; faites taire la calomnie et les hommes profondément pervers qui l’emploient. Représentans ! Paoli est plus que septuagénaire, il est infirme : sans quoi il serait allé à votre barre pour confondre ses ennemis. Nous lui devons tout, jusqu’au bonheur d’être république française. Il jouit toujours de notre confiance ; rapportez, en ce qui le concerne, votre décret du 2 avril, et rendez à tout ce peuple la joie… »
La convention nationale passa outre, et Paoli, pour sauver sa tête, insurgea la Corse et traita avec les Anglais. Alors Napoléon, voyant que la France républicaine offrait un vaste champ à son ambition, oublia sa rancune contre ceux qu’il appelait autrefois les oppresseurs de la Corse, et se tourna contre Paoli. Cependant il ne cessa jamais d’honorer un homme qui avait exercé sur lui une si belle influence, et il dicta à Sainte-Hélène quelques pages où brillent à la fois sa vénération pour ce chef célèbre et l’amour le plus vif pour leur commune patrie.
Un autre homme qui, dans un genre différent, a exercé une influence salutaire sur l’esprit de Napoléon, c’est le père Dupuy, religieux minime auquel le jeune officier soumettait tous ses travaux. Quittant la Corse à neuf ans, Napoléon était arrivé en France[1] sans savoir un mot de français. Au collége d’Autun et à l’école de Brienne, où il se rendit successivement, l’usage lui apprit à s’exprimer en français ; mais personne ne s’occupa de lui faire étudier la grammaire de la langue qui devait devenir désormais la sienne, et, par une négligence impardonnable, on ne lui donna aucune teinture d’orthographe. Il paraît même que son accent italien persista long-temps : on en reconnaît les traces dans la manière dont Napoléon écrivait soupplier, soupporter, etc. En un mot, il ignorait complètement les principes des lettres.
Le père Dupuy, dont on trouve à peine le nom cité par Bourrienne, avait été sous-principal à l’école de Brienne lorsque Napoléon y était.
- ↑ On a assuré qu’en allant d’Ajaccio à Autun Napoléon était passé par Florence et qu’il avait été présenté au grand-duc. Cependant dans les Époques de ma vie que nous avons déjà citées Napoléon disait : « Parti pour la France le 15 décembre 1778. — Arrivé à Autun le 1er janvier 1779. » Il semble difficile qu’en quinze jours il ait pu faire un si long voyage. Le trajet direct est plus probable.