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SOUVENIRS DE LA JEUNESSE DE NAPOLÉON.

fait beaucoup de recherches vaines pour retrouver ces pièces, qui furent détruites probablement dans l’incendie de notre maison par les troupes de Paoli. »

Lucien s’est trompé ; le manuscrit de cette histoire n’a pas péri : il se trouve parmi les papiers qui avaient été remis au cardinal Fesch, et se compose de trois gros cahiers qui ne sont pas de la main de Napoléon, mais qu’il a corrigés et annotés. Cette histoire, sous forme de lettres, est adressée à l’abbé Raynal : elle commence aux temps les plus reculés et se termine au XVIIIe siècle, au pacte de Corte entre les Génois et les Corses. Elle est rédigée avec chaleur, et décèle le plus vif amour pour la Corse. Ce qu’on doit surtout y remarquer et qu’on ne s’attendrait pas à y rencontrer, c’est que Napoléon ne s’est pas borné à écrire d’après des traditions plus ou moins incertaines l’histoire de son pays. Il ne s’en est pas tenu aux croyances vulgaires : dans un temps où l’érudition était presque proscrite, et où on la regardait comme une vieillerie incompatible avec le progrès, Napoléon a su s’affranchir de ce préjugé. Il a étudié les sources, il cite les ouvrages qu’il a consultés, et l’on voit qu’il a eu soin de réunir les documens inédits qui pouvaient lui fournir des lumières. Plusieurs de ces pièces sont encore annexées au manuscrit de l’Histoire de Corse. Cet homme extraordinaire ne pouvait rien faire d’incomplet ; tous ses travaux étaient sérieux. Au milieu de la révolution et malgré les idées qui régnaient alors, il avait senti que l’histoire ne s’improvise pas, et que, pour la connaître, il faut étudier les documens originaux.

Hâtons-nous cependant d’ajouter que, quoique Napoléon ait puisé aux sources, ce n’est pas là une œuvre d’érudition ; c’est plutôt une histoire dramatique qu’il a voulu tracer. Pour s’en convaincre, il suffira de lire l’épisode de la mort de Vannina Sampiero, qui fut la femme du plus énergique défenseur de l’indépendance de la Corse au XVIe siècle. Ce récit, empreint d’une certaine grandeur terrible et sauvage, termine la seconde lettre de Napoléon sur l’histoire de son pays :


« Le roi d’Alger, Lazzaro, Corse de nation, qui avait conservé dans ce haut rang le même amour pour sa patrie, ne pouvant la délivrer, la vengeait en détruisant le commerce de l’Offizio[1] ; mais rien ne

  1. L’Offizio était à Gênes une puissante compagnie de commerce qui équipait des flottes et possédait des provinces. C’était une association qui, en petit, ressemblait à la compagnie anglaise des Indes orientales.