teuil de bois, ou debout à la fenêtre, les mains croisées derrière le dos, ou se promenant de long en large dans son jardin ; noble cœur, savoir immense, grand esprit, douce et candide physionomie où se fondent dans le plus mélodieux accord des qualités qui, partout ailleurs, Novalis excepté, se contredisent d’habitude ; fantaisie que l’empirisme tempère, empirisme qu’un rayon de fantaisie illumine. Puis vient sa femme, l’épouse et la mère, la ménagère dont parle Schiller, opposant l’économie traditionnelle à l’enthousiasme, l’esprit de raison et d’ordre à l’imagination, et cependant, du côté du sens littéraire, assez douée pour que rien de poétique ne lui échappe ; enfin (car je n’en veux nommer que trois sur cinq) la fille aînée, aimable enfant tout embaumée d’idéalisme, et qu’on prendrait pour une vaporeuse émanation de la plus fraîche fantaisie du père. Vous trouveriez difficilement, dans tout ce beau pays du Neckar, une maison où se soient perpétuées avec plus de fidélité ces saintes mœurs de l’antique Souabe. Aussi, c’est là, dans cette vie toute d’études, de dévouement, de croyance, de spéculations métaphysiques, qu’un peu de fantaisie égaie à chaque instant, là dans son intérieur, dans sa famille, qu’il faut surprendre le poète et le médecin, le philosophe ami de l’humanité et le rêveur fantasque, le penseur et le visionnaire, si l’on veut se faire de Kerner une idée juste et la rendre.
Kerner, en véritable propriétaire, ne se lasse pas de vous faire parcourir les moindres recoins de son agréable ermitage ; vous verrez la maison et le double jardin qui l’entoure ; grace à l’humeur avenante et descriptive du maître, pas un détail, pas une particularité mémorable ou curieuse ne vous échappera. Sur toute chose, dans cette promenade, la tour fixera votre intérêt : ce morceau de vieille architecture, ce fragment d’une antique forteresse germanique fait à ravir dans le jardin du poète, qui, de son côté, n’a rien épargné pour en augmenter le pittoresque et l’utile. Au premier étage, une salle gothique, véritable chambre d’étude du docteur Faust, à laquelle il ne manque ni l’ogive, ni les vitraux bariolés d’enluminures, ni le bois sculpté ; puis tout en haut, sur la plate-forme rendue accessible et praticable, une vue magnifique, immense, qui plonge dans la vallée de Weinsberg, et s’étend au loin jusqu’aux montagnes du Löwenstein ; voilà pour les avantages de cette ruine, dont Kerner a su tirer un excellent parti. Cependant midi sonne, l’heure du dîner pour la bourgeoisie allemande ; alors, pour peu que le temps soit favorable, la table se dresse en plein air, devant le