que tous les êtres qui ont vécu de la seconde vie, Jacob Böhm, par exemple, et tant d’autres inspirés et visionnaires, ont toujours paru si puissamment préoccupés.
« Frédérique parlait, dans son demi-sommeil, une langue bizarre qui semblait avoir quelque rapport avec les langues orientales. Elle disait que cette langue était en elle de nature, que tout homme en avait, au plus intime de son être, la tradition innée, et qu’elle se rapprochait de celle qu’on parlait au temps de Jacob. Cette langue avait son foyer dans les nombres intérieurs de l’homme, et chez elle les verbes fondamentaux de l’existence tant intérieure qu’extérieure consistaient dans les chiffres 10 et 17. Cette langue était en outre sonore, et dans ses expressions très conséquente, de sorte qu’en s’y appliquant un peu, on arrivait insensiblement à la comprendre. Frédérique disait souvent que cette langue était la seule qui rendît ses sensations les plus intimes, et qu’elle ne pouvait exprimer quoi que ce soit en allemand sans l’avoir d’avance traduit de cette langue intérieure. Elle pensait dans cette langue, mais pas avec la tête, car cette langue semblait monter des profondeurs d’elle-même. Aussi, lorsqu’il se présentait des noms, des qualités qui manquaient dans cette langue, éprouvait-elle les plus grandes difficultés, au point de renoncer souvent à les rendre. Elle ne parlait et n’écrivait dans cette langue qu’à l’état de demi-sommeil : pendant la veille, il n’en restait plus trace ; mais aussi, chaque fois qu’elle écrivait, le sens des mots lui redevenait clair, et jamais elle ne se démentait dans son style. Voulait-on lui entendre nommer une chose dans cette langue, sans qu’elle fût disposée à le faire de son propre mouvement, il suffisait alors de la lui présenter, et le mot se dégageait de son sein. « Ce mot, disait-elle ensuite, a cet avantage sur le nom vulgaire, qu’il contient en lui l’expression des propriétés et de la valeur de la chose. » Ainsi, les noms qu’elle donnait aux gens dans cette langue intérieure résumaient presque toujours leur nature. Les philologues trouvaient dans cette langue des rapports non équivoques avec le cophte, l’hébreu, l’arabe et l’égyptien. Les caractères de cette langue s’alliaient toujours pour Frédérique à des nombres. « Si je me sers de cette langue intérieure, disait-elle, sans que ce soit pour exprimer quelque chose de profond et qui m’affecte sensiblement, je me passe de chiffres, mais alors il me faut plus de mots et de crochets. Le mot que je n’affermis pas d’un chiffre est pour moi d’une médiocre importance, il exprime bien ce que je veux dire, mais sans aucune signification profonde. Le nom de Dieu, par exemple, me paraît incomplet, à moins que les chiffres ne l’accompagnent, car alors seulement il me représente Dieu dans tout son être, il semble que les chiffres illuminent le verbe et vous conduisent dans ses profondeurs. Les nombres sans caractères me sont au fond plus sacrés que les mots. Dans les circonstances insignifiantes, on n’emploie pas les nombres, mais je sens que je n’aurai jamais d’une chose une idée complète, harmonieuse, si je ne les associe aux caractères. » Niera-t-on maintenant qu’il y ait dans ces vagues ressentimens de la visionnaire, de cette humble fille