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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

En peinture comme en métaphysique, les Allemands ont un grand homme tous les deux ans. Les interminables listes que le comte Raczynski a jointes à sa volumineuse et intéressante publication, sur l’histoire de l’art moderne en Allemagne, prouveraient au besoin l’exactitude de cette assertion. Depuis Cartzens jusqu’à Kaulbach et Schwanthaler, le nombre de ces artistes soi-disant supérieurs, qui se sont succédés et qui se sont placés, à divers titres, à la tête des différentes écoles allemandes, a été singulièrement considérable. Le nombre de ceux dont les noms ont surnagé au-dessus du torrent d’oubli est comparativement bien restreint. Amus Cartzens, qui a fait de si bizarres applications de l’esthétique allemande à l’art antique, est encore l’un de ceux dont la gloire est restée la moins contestée. L’analogie que M. Fortoul établit entre ce peintre et André Chénier nous a paru manquer de justesse. Amus Cartzens, tout en peignant des sujets antiques : Homère chantant l’Iliade, Hélène sur les murs de Troie, etc., est beaucoup plus allemand que grec. André Chénier, même dans ses iambes que dicte la passion du jour, la circonstance présente, est beaucoup plus grec que français.

Quels sont, après Cartzens, les artistes vraiment populaires de l’Allemagne moderne ? Nous nommerons Cornélius, Owerbeck, Hess, Veit, Kaulbach, Schadow, Schnorr et Schwanthaler, et peut-être des esprits sévères trouveront-ils encore cette liste bien longue. Quant à nous, en la proposant, nous faisons nos restrictions. En citant ces noms comme populaires, nous ne les présentons pas comme irréprochables ; nous aurions voulu que M. Fortoul obéît à des scrupules analogues. Cette exaltation trop continue de gloires fort douteuses, souvent même de médiocrités reconnues, et que leur seule bizarrerie semble recommander à son suffrage, est peut-être le défaut capital de son livre. Ces artistes, dont il devrait soumettre les œuvres au froid examen d’une critique désintéressée, paraissent exercer sur ses opinions et ses jugemens une influence trop exclusive. On le voit insensiblement se rapprocher de ceux que, dans le principe, il semblait condamner. Il excuse d’abord leurs défauts, puis il les approuve, et il finit par se passionner pour d’aventureux essais, de hasardeuses théories. Cette aveugle manie d’archaïsme que nous reprochions tout à l’heure aux artistes allemands, devient à ses yeux leur premier titre de gloire, il exalte les œuvres conçues dans cet esprit ; il reproduit, en les aggravant, leurs étranges systèmes de l’application exclusive de la peinture à l’architecture. Descendant de ces hauteurs et s’occupant de détails matériels, il regrette les