Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
HORACE.

son héros en se disant tout bas cette parole de M. de Talleyrand, qu’il fallait se méfier toujours de son premier mouvement, parce qu’il est presque toujours bon. Ce premier mouvement lui avait mis l’épée à la main, et de cette innocente épée il fallait, tant bien que mal, se servir. Ainsi il suivit Brutus son maître jusqu’aux plaines de Philippes, où le bonheur d’Octave brisa comme verre la vertu de Brutus. Brutus se tua de ses mains en disant : Vertu, tu n’es qu’un nom ! Horace, à tout jamais dégoûté de ce stoïcisme inflexible qui se tuait… pour un nom, jeta là son épée et son bouclier, et il s’en revint, par toutes sortes de petits sentiers, jusqu’à Rome. Rome ignorait encore quel maître allait lui venir. Elle attendait. La terreur était partout, car on ne savait pas si les proscriptions n’allaient pas recommencer d’un jour à l’autre. Le père d’Horace était mort, très malheureux de savoir que son fils était devenu un héros. Le peu qui restait du patrimoine paternel avait été dévoré par les taxes. Le premier homme que rencontra le soldat repentant de Brutus, ce fut son camarade Virgile, qui pleurait en très beaux vers la métairie de son père, dont il avait été dépouillé par un soldat d’Octave. Certes, la position n’était pas belle pour Horace, mais qu’importe ? Il a vingt-quatre ans, il est beau, il est fort, sa tête est petite et bouclée, ses yeux sont vifs, la poésie respire dans toute sa personne ; il sent en lui-même que l’inspiration va venir. Donnez-lui seulement quelques années de paix, et avec la paix un bon maître, un roi, une cour, l’oisiveté de cette nation turbulente, un peu de silence en un mot, et notre poète est sauvé.

Il commença comme doit commencer tout jeune homme qui veut à toute force se faire une place dans ce monde, où toutes les places sont toujours occupées, il commença par la satire. C’est un malheur sans doute, mais enfin c’est là un malheur presque nécessaire, que tout esprit naissant se mette à mordre pour se faire jour : plus la morsure est aiguë, plus la victime pousse de grands cris, et plus notre ambitieux est content. Il mord, on lui fait place ; une fois placé, il s’apaise, et il se met à défendre la position à son tour, sauf à crier bien haut à la première morsure du premier pauvre diable qui lui portera envie. Ceci est l’histoire universelle des gens d’esprit. Seulement il faut exiger d’eux que leur morsure n’ait rien de venimeux, que leur agression soit loyale, qu’ils fassent au préalable leur déclaration de guerre, et qu’enfin ils ne consentent jamais à un pacte inique avec les méchans. La première satire du jeune poète fut une action courageuse et loyale. Le satirique prend corps à corps, non pas tout-à-fait le maître tout-puissant de la société nouvelle, car