Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/960

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
950
REVUE DES DEUX MONDES.

De là cette confusion qui, s’élevant à la présence du désordre, trouble et mêle nos pensées, et les rend comme insaisissables à ses atteintes.

De là ce tact mis en avant de toutes nos perceptions, cet instinct qui s’oppose à tout ce qui n’est pas permis, cette immobile fuite, cet aveugle discernement, et cet indicateur muet de ce qui doit être évité, ou ne doit pas être connu.

De là cette timidité qui rend circonspects tous nos sens, et qui préserve la jeunesse de hasarder son innocence, de sortir de son ignorance, et d’interrompre son bonheur.

De là ces effarouchemens par lesquels l’inexpérience aspire à demeurer intacte, et fuit ce qui peut trop nous plaire, craignant ce qui peut la blesser.

La pudeur abaisse notre paupière entre nos yeux et les objets, et place un voile plus utile, une gaze plus merveilleuse entre notre esprit et nos yeux.

Elle est sensible à notre œil même par un lointain inétendu et un magique enfoncement, qu’elle prête à toutes nos formes, à notre voix, à notre air, à nos mouvemens, et qui leur donnent tant de grace. Car, on peut le voir aisément, ce qu’est leur cristal aux fontaines, ce qu’est un verre à nos pastels, et leur vapeur aux paysages, la pudeur l’est à la beauté et à nos moindres agrémens.

Quelle importance a la pudeur ? Pourquoi nous fut-elle donnée ? De quoi sert-elle à l’ame humaine ? Quelle est sa destination, et quelle est sa nécessité ?

Je vais tâcher de l’expliquer.

Quand la nature extérieure veut créer quelque être apparent, tant qu’il est peu solide encore, elle use de précautions.

Elle le loge entre des tissus faits de toutes les matières, par un mécanisme inconnu, et lui compose un tel abri, que l’influence seule de la vie et du mouvement peut, sans effort, y pénétrer.

Elle met le germe en repos, en solitude, en sûreté, le parachève avec lenteur, et le fait tout à coup éclore.

Ainsi s’est formé l’univers ; ainsi se forment en nous toutes nos belles qualités.

Quand la nature intérieure veut créer notre être moral, et faire éclore en notre sein quelque rare perfection, d’abord elle en produit les germes, et les dépose au centre de notre existence, loin des agitations qui se font à notre surface.