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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1005

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STATISTIQUE LITTÉRAIRE.

le provincial est beaucoup plus positif, plus volage que les Tibulles chrétiens de la capitale ; mais il n’est pas moins discret :

Rideaux protecteurs du mystère,
Entourez-moi de vos replis,
Et de ma beauté solitaire
Voilez les roses et les lis.

Les problèmes éternels ne le préoccupent guère :

Du Plaisir et de la Paresse
Aimable enfant toujours gâté,
Il va boire l’eau du Permesse
Dans la coupe de la Gaîté.

Quelquefois cependant il subit, à son insu, l’influence des novateurs, et il arrive de là qu’il imite l’auteur d’Hernani dans une tirade contre les romantiques. Du reste, on aurait tort de se montrer sévère pour les paisibles littérateurs qui riment hors du département de la Seine. Ils n’ont pas en général la prétention de réformer leur siècle, ils ne demandent pas de statues, ils ne demandent pas de pension, et se contentent de leurs rentes. Le plus grave reproche qu’on puisse leur adresser, c’est de substituer quelquefois la langue de l’arrondissement à la langue française, et d’immoler les poètes de la capitale aux poètes des chefs-lieux. À Rennes, par exemple, on assure que les lauriers de M. Turquety troublent le sommeil de M. de Lamartine, et de tous les points des départemens c’est un cri de réprobation contre Paris, l’usurpateur, la grande ville des pygmées, qui n’a de grand que son orgueil et sa sottise. Le Delenda Carthago a trouvé de l’écho, de Pézénas à Villeneuve, et tout récemment encore Paris recevait de cette dernière localité un cartel poétique, élucubré par un charabia parisphobe, qui se dit curieux de savoir si dans la capitale on rime mieux que dans son endroit, et qui me paraît, pour sa part, avoir pleinement résolu la question.

Toute ville qui a une imprimerie a tout au moins un poète ; toute société libre ou royale des arts ou d’agriculture a son concours poétique et sa médaille de deux cents francs, et chaque année, dans la séance solennelle, la salle de la mairie se transforme en Capitole pour l’ovation des lauréats. Chaque province a sa nuance, ses habitudes littéraires, ses grands hommes. La Bretagne, isolée dans ses bruyères et ses brouillards, forme une sorte d’école à part, qui rappelle l’école des lackistes ; elle s’inspire de ses landes, de ses grèves, de ses pierres druidiques, de ses antiques vertus ; mais en général elle court après l’originalité plutôt qu’elle ne la rencontre. Le Parnasse breton n’est pas en Bretagne. Est-il à Paris ? — Dans le reste de la France, Dijon, Toulouse et Marseille se distinguent par leurs préoccupations littéraires. Dijon est par excellence la ville académique du concours et de la tradition classique, comme, Caen est la ville du congrès et de l’archéologie.