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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/164

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autres, dans le duo du second acte entre le duc d’Olonne et la duchesse déguisée en moine, un trait d’orchestre d’une finesse exquise, et la sérénade du troisième acte, si ingénieusement combinée, si bien en scène. Avec Mme Damoreau, la cantatrice par excellence, le Duc d’Olonne aurait parcouru la carrière du Domino. S’il manque à ce succès un peu d’élan, c’est à Mme Thillon seule qu’il faut s’en prendre. Mme Thillon a tous les défauts d’une actrice d’opéra-comique sans en avoir les qualités ; j’en excepte une : elle est jolie. Dans la comédie, Mme Thillon ne joue pas, elle minaude ; un effroyable accent britannique s’oppose chez elle à toute espèce d’esprit dans le dialogue, de justesse dans le trait ; Mme Thillon ne se contente pas de chanter, elle parle faux. Cependant, malgré tous ces travers, je conçois encore que l’auteur du Duc d’Olonne l’emploie de préférence à Mme Rossi, talent plus sérieux sans doute, voix plus exercée, mais qui n’a rien de cette élégance flexible, de cette gentillesse dont sa musique ne saurait se passer. Mme Rossi entonne ces ariettes comme elle ferait d’une cavatine de Bellini ou de Mercadante. Une fois lancée, sa passion l’emporte ; au lieu de raser le sol, elle prend le large et s’envole ; lorsqu’il faudrait gazouiller à mi-voix, elle chante. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre Mme Rossi dans le rôle d’Angèle du Domino noir. Vocalisation, tenue, intelligence dramatique, tout y est ; une seule chose manque, le secret de cette petite musique dans ce qu’elle a de fin, de minutieux, si l’on veut, le secret que Mme Damoreau avait si bien, et que Mme Thillon cherche sans le trouver. C’est trop et trop peu. Si jamais M. Auber emploie Mme Rossi, ce sera pour lui confier un rôle tout musical, et par conséquent à l’Opéra-Comique accessoire, un rôle à cavatine, dans le genre de la princesse de Zanetta, comme faisait M. Meyerbeer pour Mme Damoreau, qu’il admettait dans ses ouvrages, mais à titre d’objet de fantaisie et de luxe.

Nous ne quitterons pas l’Opéra-Comique sans dire quelques mots d’un petit acte représenté voici tantôt deux mois. Le Diable à l’école, de M. Boulanger, est le coup d’essai d’un jeune homme de talent, qui aux prises avec un poème des plus ridicules et d’assez pauvres chanteurs, a trouvé moyen de se tirer d’affaire comme il faut. Il y a dans cette musique de l’ingénuité, de la grace, de la fraîcheur, comme aussi de l’inexpérience, de la diffusion, du trop plein, en un mot, les qualités et les défauts d’un premier début. Les musiciens nouveau-venus ressemblent un peu à ces écrivains qui voudraient faire tenir toute une encyclopédie en quinze pages ; les uns n’ont jamais assez de notes, comme les autres jamais assez de noms propres. Nous reprocherons encore à M. Boulanger de déposséder trop souvent les voix en faveur de l’orchestre ; presque tous les motifs du Diable à l’école restent dans l’accompagnement ; il est vrai qu’à l’Opéra-Comique c’est peut-être ce qu’un musicien a de mieux à faire. On se réfugie où l’on peut, et, lorsque les voix ne chantent pas, on s’adresse aux violons. Quoi qu’il en soit, ce petit acte semble promettre pour l’avenir, et mérite qu’on le note dans cette multitude d’ouvrages avortés que le gouffre du répertoire engloutit à chaque instant.