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REVUE. — CHRONIQUE.

des inquiétudes sur le maintien de l’empire du croissant, une intervention armée l’anéantirait du coup et ferait surgir à l’instant même devant les puissances cette immense question qu’elles redoutent et dont elles s’efforcent de retarder la solution. Une intervention armée des cinq puissances est une chimère, et l’intervention armée de quelques-unes d’entre elles serait aujourd’hui une pensée plus chimérique encore. Voilà ce qui explique toutes les témérités du divan. C’est ainsi qu’il a remis les rênes de l’empire aux mains d’un représentant de la vieille Turquie, qu’il foule aux pieds ce hatti-shériff de Gulhané dont les gobe-mouches de l’Europe attendaient de si magnifiques résultats, qu’on a soumis les chrétiens de la Syrie à un gouverneur turc, qu’on éconduit les diplomates européens, qu’on leur dit avec une apparence de raison : Vous désirez consolider l’empire ottoman, vous voulez qu’il retrouve l’indépendance et la force d’un grand état ; ne vous mêlez donc pas de notre administration intérieure, laissez-nous nous gouverner à notre guise ; il n’y a ni force, ni indépendance sans autonomie. Et certes, si le sultan pouvait un jour se donner le plaisir de jouer la comédie, s’il disait aux représentans de l’Europe : Il vous convient de vous mêler de mes affaires, soit ; mais je préfère, puisqu’il en est ainsi, vous livrer l’empire tout entier ; prenez-le ; je me retire simple particulier sur les rives du Bosphore, dans une maison de plaisance ; qui serait dans l’embarras ? qui s’empresserait de supplier le jeune monarque de ne pas briser le sabre de Mahomet et de ne pas déserter le sérail impérial ? À coup sûr les cinq puissances. C’est ainsi que l’Europe ne peut aujourd’hui ni rajeunir l’empire ottoman ni le laisser mourir. Elle en prolonge péniblement l’agonie sans rien savoir du lendemain. La Providence seule sait comment s’accomplissent ces grandes péripéties qui changent la face des empires, et donnent naissance à un nouvel ordre de choses.

Il est, au milieu de ces discussions, un point sur lequel les résistances de la Porte sont aussi sensées que légitimes. Elle ne veut pas reconnaître les pouvoirs épiscopaux de l’évêque protestant qu’on a envoyé à Jérusalem. Elle lui a accordé des firmans pour le protéger, comme elle en accorde à tout voyageur distingué et particulièrement recommandé par son gouvernement. La Porte a raison. Que peut faire à Jérusalem un évêque protestant ? Rien, puisque nous nous plaisons à croire que l’homme respectable qui a été revêtu de ces fonctions, n’est mêlé et ne voudrait se mêler à aucune intrigue politique. D’ailleurs, empressons-nous d’ajouter, car il faut, avant tout, rendre hommage à la vérité, que l’établissement d’un évêque protestant à Jérusalem n’est pas une pensée du gouvernement anglais. Seulement il n’a pas osé ne pas l’accueillir. Elle avait en Angleterre et ailleurs des appuis dont il n’aurait pas été prudent de blesser les sentimens et d’éluder les instances. Au surplus, l’arrivée de l’évêque protestant à Jérusalem n’a pas été suivie des désordres et des excès dont on a parlé ces derniers jours. La population, et en particulier le clergé de Jérusalem, ne se sont point émus de l’arrivée de ce pasteur sans ouailles. Ce fait leur a paru plutôt singulier que redoutable. C’est maintenant un essai malheureux, une tentative sans importance qui sera bientôt oubliée.