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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/197

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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Front brillant, sans rien de blême :
Sa lèvre sentait le vin ;
Et dans sa marche sacrée,
Légèrement égarée,
Amour lui tenait la main.

Faisant glisser de sa tête
Lis et roses de la fête,
Sa couronne de renom,
Il se l’ôte et me la donne :
Je la prends, et la couronne
Sentait son Anacréon.

Le cadeau riant m’invite,
Et sans songer à la suite,
Joyeux de m’en parfumer,
Dans mes cheveux je l’enlace :
Depuis lors, quoi que je fasse,
Je n’ai plus cessé d’aimer.

Eh bien ! ce que le poète grec dit là pour les amours était un peu vrai pour la poésie ; nos amis de la Pleïade, après avoir embrassé le vieillard et avoir essayé un moment sur leur tête cette couronne qui sentait son Anacréon, en gardèrent quelque bon parfum, et depuis ce temps il leur arriva quelquefois d’anacréontiser sans trop y songer.

Belleau, pour son compte, n’a guère eu ce hasard heureux que dans son Avril ; d’autres petites inventions qui semblaient prêter pareille grace, telles que le Papillon, lui ont moins réussi[1].

  1. Au défaut du Papillon de Belleau, j’en citerai ici un autre, une des plus jolies chansons de ce gai patois du midi, et qui montre combien vraiment l’esprit poétique et anacréontique court le monde et sait éclore sous le soleil partout où il y a des abeilles, des cigales et des papillons. Le refrain est celui-ci :

    Picho couquin de parpayoun,
    Vole, vole, te prendrai proun !…

    « Petit coquin de papillon, vole, vole, je te prendrai bien ! — De poudre d’or sur ses ailettes, de mille couleurs bigarré, un papillon sur la violette, et puis sur la marguerite, voltigeait dans un pré. Un enfant joli comme un ange, joue ronde comme une orange, demi nu, volait après lui. Et pan ! il le manquait, et puis la bise qui soufflait dans sa chemise faisait voir son petit dos (son picho quieü). — Petit coquin de papillon, vole, vole, je te prendrai bien ! — Enfin le papillon s’arrête sur un bouton d’or printanier, et le bel enfant, par derrière, vient doucement, et puis, leste ! dans sa main, il le fait prisonnier. Vite alors, vite à sa cabanette il le porte avec mille baisers, et puis, quand il rouvre la prison, ne trouve plus dans sa menote que la poudre d’or de ses ailes,… petit coquin de papillon ! »