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largeur, et plusieurs du XVIIIe siècle après lui, ont eu des parties, des traits aiguisés du genre. Voltaire, en quelques pièces légères, l’a saisi et comme fixé à ce point parfait de bel esprit, de sensibilité et de goût, qui sied à notre nation. André Chénier n’a eu que peu d’anacréontique, à proprement parler, dans le sens final ; il est remonté plus haut, et, si j’écris quelque jour sur Théocrite, comme j’en ai le désir, je marquerai avec soin ces différences. Le plus vraiment anacréontique des modernes a peut-être été le Sicilien Meli. Béranger pourrait sembler tel encore, mais par quelques imitations habiles et de savantes gaietés, plutôt que par l’humeur et le fond lui aussi, je le qualifierai un poète de l’art. Quoi qu’il en soit, c’est bien certainement au XVIe siècle et au début que l’imitation immédiate et naïve d’Anacréon se fait le mieux sentir. Le second temps, le second pas des essais de la Pléïade en demeure tout marqué. Ayant insisté précédemment sur l’issue et les phases dernières de cette école, sur ce que j’ai appelé son détroit de sortie, j’ai tenu à bien fixer aussi les divers points du détroit d’entrée ; c’est entre les deux qu’elle a eu comme son lac fermé et sa mer intérieure. En 1550, irruption brusque, rivage inégal ; en 1554, continuation plus ornée, plus polie, jusqu’à ce qu’en 1572 on arrive tout en plein au golfe de mollesse. À partir de 1554, la colline, la tour d’Anacréon est signalée : la flottille des poètes prend le vieillard à bord, et il devient comme l’un des leurs.

Et maintenant, de ma part, c’est pour long-temps ; c’en est fait, une bonne fois, de venir parler de ces poètes du XVIe siècle et de leurs fleurettes : j’ai donné le fond du panier.


Sainte-Beuve.