Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
DU GÉNIE DES RELIGIONS.

livres sacrés écrits dans cette langue, car la traduction d’Anquetil est trop incertaine et trop décolorée pour avoir aucune valeur réelle. Si nous passons à l’Inde, les Védas sont loin d’être connus ; on n’en a traduit qu’un seul, et l’on étudie depuis bien peu de temps les poèmes mythologiques. Mais cette ignorance n’est rien auprès de celle où nous sommes du bouddhisme, c’est-à-dire de la religion qui compte le plus de sectateurs, et dont la littérature est la plus considérable. À peine a-t-on rapidement feuilleté quelques-uns des innombrables volumes qui encombrent les bibliothèques de ses cloîtres.

Avec cette pénurie de renseignemens positifs, il ne suffit pas de dire que le procédé de M. Quinet ne doit pas s’employer ici ; il faut aller plus loin et reconnaître que son livre est venu trop tôt. L’histoire universelle des religions n’est pas encore possible. Les matériaux ne sont pas réunis ; il reste trop de terres inconnues pour tracer déjà cette carte. On est alors réduit à combler les lacunes de la science par des conjectures, et, fussent-elles justes, elles manqueraient cependant d’autorité. On n’accorde plus en effet de confiance qu’à une méthode sévère, parce qu’elle donne seule des résultats assurés : sa lenteur apparente est l’unique moyen de ne pas perpétuer les incertitudes, et sa réserve, sa timidité, mènent à des idées plus vastes que ne les aurait conçues de lui-même l’esprit le plus hardi. L’histoire des sciences naturelles depuis un demi-siècle en est la preuve évidente.

Le livre de M. Quinet a nécessairement les caractères d’une œuvre prématurée. M. Quinet distingue dans l’antiquité trois civilisations, celles de l’Orient, de la Grèce et de Rome. Il parle des immenses étendues de l’Orient et de tous ses empires comme d’un seul pays et d’un même empire. Il n’a fait, du reste, que suivre en cela les habitudes de la philosophie de l’histoire en France et en Allemagne. Cette division est consacrée depuis assez long-temps par l’usage ; mais n’est-il pas permis de se demander si elle est aussi fondée qu’on paraît le croire, s’il est bien sûr que l’Orient ait cette uniformité qu’on est convenu de lui reconnaître ?

Quand on le regarde de près, la nature et l’homme y offrent un spectacle singulièrement varié. Voyez l’Asie : elle est la terre des contrastes. Au milieu de l’Asie orientale s’élève un plateau considérable. Soutenu par l’Himalaya et l’Altaï, il descend vers le nord par trois gradins que des chaînes puissantes séparent : le Tibet avec ses vallées alpestres, la source des fleuves sacrés, ses monastères et ses cités populeuses à la hauteur du Mont-Blanc ; puis l’immense désert