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nières les ouvrages utiles, il y a plus à craindre de voir passer à la postérité des écrits médiocres que de voir les grandes actions tomber dans l’oubli. Cependant il ne faut pas croire que l’imprimerie puisse servir à conserver tous les livres ni même tous les bons livres qui paraissent ; il s’en détruit journellement un nombre très considérable, et, sans citer les incunables et les premières éditions des classiques, qui ont presque entièrement disparu, il suffira de nommer Desargues, géomètre qui sut briller à côté de Fermat et de Descartes, et qui doit être compté parmi les gloires de la France. La plupart de ses écrits, imprimés vers le milieu du XVIIe siècle, ont tout-à-fait disparu, et on ne les connaît que par des citations.

Sans aborder la question littéraire, on peut affirmer que les chances de destruction augmentent sans cesse pour les livres qui se publient aujourd’hui. Imprimés sur un papier qui n’a aucune consistance, ils tomberont bientôt en poussière, et l’on peut prédire avec assurance que ceux qu’on ne réimprimera pas prochainement seront perdus pour la postérité. Quoique ordinairement écrits sur parchemin, les manuscrits étaient exposés à plus de chances de destruction encore : il n’existait habituellement qu’un petit nombre de copies du même ouvrage, et un accident suffisait parfois pour les faire disparaître. On a souvent déploré la perte de tant de trésors littéraires que l’antiquité nous avait laissés, et qui ne sont pas arrivés jusqu’à nous. Ces regrets sont bien légitimes ; cependant, lorsqu’on étudie avec soin l’histoire des siècles barbares, on en vient plutôt à s’étonner de ce qui a été préservé que de ce qui s’est perdu, et l’on ne s’explique pas bien par quels moyens ces manuscrits ont été conservés.

Il y a eu, chez les anciens, des bibliothèques de manuscrits non moins nombreuses que les plus grandes collections de livres imprimés qui existent à présent. La bibliothèque d’Alexandrie contenait sept cent mille manuscrits, et, plus tard, les Arabes eurent en Espagne des collections non moins nombreuses. Par suite des guerres civiles, si funestes aux établissemens littéraires, comme par les guerres religieuses et par le fanatisme des premiers chrétiens, les grandes bibliothèques de l’antiquité furent dispersées, et l’on sait maintenant que les chrétiens n’avaient guère laissé à faire à cet Omar qu’on accuse d’avoir ordonné la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie. Le besoin de détruire les derniers restes du paganisme amena les chrétiens à proscrire les ouvrages classiques grecs et latins, et l’on sait aussi combien saint Grégoire et Isidore lui-même ont fait pour abolir la littérature profane. C’était là peut-être