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UNE JOURNÉE À LONDRES.

presqu’île des Chiens, et qu’on appelle le canal de la Cité, raccourcit de trois ou quatre milles le chemin que l’on est obligé de faire pour doubler la pointe.

Les docks de commerce, sur la rive opposée, les docks de Londres, ceux de Sainte-Catherine, avant d’arriver à la Tour, ne sont pas moins surprenans. Au bassin du commerce se trouvent les plus énormes caves qui existent au monde : c’est là que sont entreposés les vins d’Espagne et de Portugal. Tout cela sans compter les bassins et les docks particuliers. À chaque instant, au milieu d’un groupe de maisons, vous voyez se prélasser un vaisseau. Les vergues éborgnent les croisées, les antennes pénètrent dans les chambres, et les guibres semblent battre en brèche les portes des magasins, comme des béliers antiques. Les maisons et les vaisseaux vivent dans l’intimité la plus touchante et la plus cordiale ; à l’heure de la marée, les cours deviennent des bassins, et reçoivent des barques. Des escaliers, des rampes, des cales de pierre, de granit, de briques, montent et descendent de la rivière aux maisons. Londres a les bras plongés jusqu’aux coudes dans son fleuve ; un quai régulier gênerait la familiarité du fleuve et de la ville. Le pittoresque y gagne, car rien n’est plus horrible à voir que ces éternelles lignes droites prolongées en dépit de tout, dont s’est engouée si bêtement la civilisation moderne.

L’Angleterre n’est qu’un chantier ; Londres n’est qu’un port. La mer est la patrie naturelle des Anglais ; ils s’y plaisent tellement, que bien des grands seigneurs passent leur vie à faire les voyages les plus périlleux dans de petits bâtimens équipés et gouvernés par eux. — Le club des yachts n’a pas d’autre but que d’encourager et de favoriser ce penchant. — La terre leur déplaît tellement, qu’ils ont un hôpital installé au milieu de la Tamise, dans un gros vaisseau rasé, qui sert aux marins qui se trouvent malades dans le port de Londres. L’avis de Tom Coffin, dans le roman du Pilote, de Cooper, à savoir que la terre n’était bonne que pour se ravitailler et prendre de l’eau fraîche, ne doit pas paraître une exagération en Angleterre.

La façade de toutes ces maisons est tournée vers le fleuve, car la Tamise est la grande rue de Londres, la veine artérielle d’où partent les rameaux qui vont porter la vie et la circulation dans le corps de la ville. Aussi quel luxe d’écriteaux et d’enseignes ! Des lettres de toutes couleurs et de toutes dimensions chamarrent les édifices de haut en bas ; des majuscules ont souvent la hauteur d’un étage. Il s’agit d’aller chercher la vue d’un côté à l’autre d’une nappe d’eau