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UNE JOURNÉE À LONDRES.

murs. Cet aspect morne et désert contrastait si fort avec l’idée d’animation et de bruit que je m’étais faite de Londres, que je ne revenais pas de ma surprise ; enfin je me souvins que c’était dimanche, — et l’on m’avait vanté les dimanches de Londres comme l’idéal de l’ennui. Ce jour là, qui est chez nous, du moins pour le peuple, un jour de joie, de promenade, de toilette, de festins et de danse, de l’autre côté de la Manche se passe dans une tristesse inconcevable. Les tavernes ferment la veille à minuit, les théâtres ne jouent pas, les boutiques sont closes hermétiquement, et pour qui n’aurait pas fait ses provisions la veille, il serait très difficile de trouver à manger ; la vie semble être suspendue. Les rouages de Londres cessent de fonctionner, comme ceux d’une pendule lorsqu’on met le doigt sur le balancier. De peur de profaner la solennité dominicale, Londres n’ose plus faire un mouvement, c’est tout au plus s’il se permet de respirer. Ce jour-là, après avoir entendu le prêche du pasteur de la secte à laquelle il appartient, tout bon Anglais se claquemure dans sa maison pour méditer la Bible, offrir son ennui à Dieu, et jouir devant un grand feu de charbon de terre du bonheur d’être chez lui et de n’être ni Français, ni papiste, source de voluptés inépuisables. À minuit, le charme est rompu ; la circulation, figée un instant, reprend son niveau, les maisons se rouvrent, la vie revient à ce grand corps tombé en léthargie, le Lazare dominical ressuscite à la voix de cuivre du lundi et se remet en marche.

Le lendemain, d’assez bonne heure, je me lançai à travers la ville tout seul, comme c’est ma coutume en pays étranger, ne haïssant rien comme d’avoir un guide qui me fait voir tout ce dont je ne me soucie pas et me fait passer à côté de ce qui m’intéresse. — Nous professons tous les deux, mon cher Fritz, les mêmes théories sur les voyages ; nous évitons les monumens avec soin, et en général tout ce qu’on appelle les beautés d’une ville. Les monumens sont ordinairement composés de colonnes, de frontons, d’attiques et autres architectures que les gravures et les dessins représentent avec beaucoup de fidélité. Je puis dire que je connais tous les monumens de l’Europe comme si je les avais vus, et même beaucoup mieux. Je sais par cœur les églises et les palais de Venise, où je n’ai jamais mis les pieds, et même j’ai écrit autrefois une description de cette dernière ville tellement exacte, qu’on ne veut pas croire que je n’y ai pas été. Les beautés d’une ville consistent dans des rues ou des places trop larges bordées de maisons neuves et régulières : c’est toujours ce que l’on m’a fait voir en pareille occasion.