Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
REVUE DES DEUX MONDES.

le sein qui porte le bonheur de sa vie. L’ancien organiste Robert Wramp suit pédestrement les sentiers qui conduisent à son rendez-vous. Si ce n’étaient la coupe française de ses vêtemens, la poudre de ses cheveux, la cocarde galante de son chapeau, on dirait, à son allure, un homme qui a un Virgile dans sa poche. Il marche du pas d’un rêveur. Werther devait avoir cette taille inclinée et ce front pensif quand il disait, en portant ses regards errans sur l’herbe du chemin : « L’herbe frissonnera un jour sur mon tombeau, comme elle frissonne au bord de cette route. » Malgré toutes mes secrètes sympathies pour ce bon et digne artiste, j’aime mieux la façon dont s’avançaient le vicomte de Gerblies et son témoin, le marquis de Percamp. Quand on va se battre en duel, le moment est mal choisi, pour prendre des attitudes élégiaques. Il ne faut pas regarder si les fleurs ont l’air de vous plaindre et les oiseaux de prédire votre mort. Comme disait le vieux commandeur de G……, pensez aux plus joyeuses aventures de votre vie, aux meilleurs tours que vous avez joués à vos maîtresses et aux meilleures bottes que vous a apprises votre maître d’armes. Gerblies suivait les préceptes du commandeur ; il faisait honneur à son pays, il justifiait cette glorieuse ligne qu’on a lue long-temps à l’article France, dans tous les dictionnaires de géographie : « Le Français est hardi et léger. » Il montait un cheval fringant, dont l’allure réjouissait la vue, et, solidement assis sur la selle, suivant la bonne et ancienne méthode de notre équitation, il échangeait avec Percamp mille gais propos qu’auraient dû recueillir les bosquets taillés de Versailles, et non pas les grands arbres échevelés, pleins d’une poésie exubérante et désordonnée comme celle d’une ballade, qui penchaient sur lui leurs rameaux capricieux. Je suis sûr que bien peu de personnes se souviennent du duel de M. de Ségur et du prince de Nassau. Ce fut un beau duel cependant. Tout en se portant des coups sérieux, on se disait d’aimables choses : — Prince, vous avez là un joli ruban à votre épée. — Mais, mon cher vicomte, vous êtes blessé. — Non, ce n’est rien ; recommençons, je vous en supplie. — Et l’on recommençait. Comment Dieu recevait-il ces ames qui s’envolaient à lui toutes souriantes, sans fiel, sans courroux et sans remords, par quelque blessure vaillamment reçue ? Je crois qu’il usait envers elles d’indulgence. En tout cas, mieux valait cette leste et hardie façon de quitter l’existence que la triste manière dont un cuistre s’en va furtivement de cette terre en vidant quelque fiole de pharmacien, après s’être attendri, dans une lettre de quatre pages, sur son sort et sur celui de l’humanité. Gerblies appartenait