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LE CHEVALIER DE TRÉFLEUR.

teur Blum en trouvant son enveloppe terrestre percée d’un coup d’épée. — Au moins, avait-il dit, voilà un genre de dégât qu’on est accoutumé à subir et qu’il n’est pas honteux de montrer. — Mais ces réflexions qui l’avaient un instant consolé ne suffirent pas à le préserver d’un mal affreux, de l’ennui, qu’il était obligé de supporter toutes les fois qu’il revenait sur la terre avec les défaillances et les langueurs d’une interminable convalescence. Robert Wramp avait fait placer un orgue dans le coin de sa chambre, et laissait errer sur les touches ses doigts affaiblis ; il faisait des vers, et il pensait à Marguerite ; l’abominable Maldech trouvait dans ses calculs et dans ses comptes les mystérieuses distractions des avares ; mais le chevalier n’avait rien ni en lui, ni hors de lui, qui rendît le pas du temps moins tardif et moins lourd. Les bruits qui avaient couru partout sur la bizarrerie de son caractère avaient éloigné de lui tous ses amis ; toutes les fois qu’il reparaissait dans le monde, on l’accueillait avec l’empressement qu’inspire la curiosité, mais on avait oublié le chemin de sa demeure. La poésie ne pouvait pas lui être d’un grand secours, car, tout au contraire de certains poètes qui aiment à l’appeler dès qu’ils sont seuls, pour poser leur tête sur ses genoux, qui en font la compagne chérie de leur retraite, qui ne rêvent pour elle que bois obscurs et antres inaccessibles, il ne daignait lui sourire que dans le monde, et la traitait fort mal chez lui. Il faisait des vers à Iris, quand Iris lui montrait sur un tapis de velours un album rose ou bleu, et lui présentait elle-même la plume ; mais faire des vers quand il était seul, quand aucun œil n’était fixé sur lui, oh ! jamais. La lecture lui manquait aussi, car il professait pour la littérature allemande le plus profond mépris, et les deux ou trois livres français qui l’avaient accompagné dans l’émigration lui avaient donné depuis long-temps tout le plaisir que pouvaient contenir leurs pages. Des vapeurs soporifiques s’élèvent des livres qui vous ont le plus charmé, quand on les a cent fois parcourus. Les tragédies de Voltaire et ses contes, Zaïre et Candide, renfermaient pour lui non pas ce qu’on cherche dans les poètes, les doux rêves, mais ce qu’on rencontre souvent, le sommeil. Le jour dont je parle, il faisait ce qu’on fait dans le désœuvrement, il s’adressait à tous les objets, comme s’il eût espéré trouver en eux quelque ressource inattendue ; il tournait et retournait dans tous les sens le canif et le couteau à papier placés sur son bureau ; il traçait des mots sans suite sur des feuilles blanches ; enfin, il se livrait à tous les passe-temps stériles qu’imagine un esprit peu inventif dans une lutte impuissante contre l’ennui. Tout à coup l’idée lui vint de rouvrir le tiroir de son secré-