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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/343

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UN MOT SUR LA POLÉMIQUE RELIGIEUSE.

jusqu’à la dernière page des livres révélés ? Certes, ce serait là le spectacle le plus inoui dont on eût entendu parler, que de vous voir triompher quand il faudrait gémir ! Vous parlez de Voltaire, de Locke et de Reid ; mais ils sont morts : ce sont les vivans qui vous assiégent, et ce sont eux dont vous ne vous inquiétez pas ! Et c’est le moment que vous choisissez pour vous enorgueillir de la victoire ! et vous parlez, vous agissez comme si rien ne s’était passé ! Avouez que c’est là un triomphe effrayant, et que, si vous avez des ennemis, ils doivent désirer qu’il ne finisse pas.

D’où est venue cette illusion ? d’une situation fausse pour tout le monde. Les concessions trompeuses que se sont faites mutuellement la croyance et la science, n’ont servi qu’à les altérer l’une et l’autre. L’orthodoxie a voulu pendant quelque temps s’identifier avec la philosophie, elle en a pris les formes et le manteau ; de son côté, la philosophie s’est vantée d’être orthodoxe ; déguisant ses doctrines, elle a souvent affecté le langage de l’église ; après l’avoir bouleversée au siècle dernier, elle a prétendu, dans celui-ci, la réparer sans la changer. Dans cette confusion des rôles, que de pensées, que d’esprits ont été faussés ! et, pour résultat, quelle stérilité ! Enchaînée par cette fausse trêve, la tradition, transformée, altérée, méconnaissable, avait perdu son propre génie. La langue même se ressentait de ce chaos. On ne parlait plus de l’église, mais de l’école catholique. D’autre part, que devenait la philosophie sous son masque de chaque jour ? Obligée de détourner le sens de chacune de ses pensées, se ménageant toujours une double issue, l’une vers le monde et l’autre vers l’église, parlant à double entente, elle retournait à grands pas vers la scolastique, dont elle avait déjà pris soin d’exalter par avance les services et le génie, c’est-à-dire qu’à petit bruit, sans scandale, on marchait en France à la ruine de la religion par la philosophie, et de la philosophie par la religion, ou plutôt au néant, puisque le véritable néant, c’est d’habiter le mensonge ; c’est, pour le croyant, de déguiser sa croyance sous l’apparence du système ; c’est, pour le philosophe, de déguiser sa philosophie sous les insignes de ceux qui la combattent.

Les attaques violentes, injustes, quelquefois calomnieuses, qui viennent de retentir sur tous les tons, peuvent donc avoir le grand avantage de replacer chacun dans sa condition naturelle. Il faut même, jusqu’à un certain point, féliciter l’église de s’être lassée la première de la trêve menteuse que l’on avait achetée si chèrement de part et d’autre ; et nous ne songerons pas à nous plaindre, si