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L’ARCHIPEL DE CHAUSEY.

partiennent à la même espèce, bien que leur couleur soit si différente. Celle-là, prise sous une pierre qu’un flot rapide lave plusieurs fois par jour, est d’un rouge sombre relevé par des teintes dorées. Celle-ci, trouvée dans le limon que recouvrait une prairie de zostères, semble avoir emprunté au sol qu’elle habitait ce noir profond et velouté d’où partent des reflets bleuâtres et irisés. Chez elles, plus de panaches branchiaux, mais de longs filamens qui se meuvent de toutes parts autour d’elles, et qu’elles étendent au loin comme autant de cordages animés. Ce sont à la fois des bras et des branchies, et le sang qui les remplit et les abandonne tour à tour, leur communique une belle teinte d’un rouge carmin, ou laisse après lui une couleur d’un jaune pale. Voyez comme elles allongent leur mufle pointu surmonté d’un double œil en fer à cheval, comme elles se ramassent pour échapper à l’éclat inaccoutumé de la lumière qui les frappe. Peut-être aurai-je un jour de bien curieuses choses à vous dire sur les moyens employés par la nature pour assurer leur propagation ; mais de nouvelles recherches sont nécessaires pour confirmer les observations que j’ai déjà recueillies sur ce sujet.

Prenons maintenant des verres dont le pouvoir amplifiant soit plus considérable, éloignons un peu notre lampe, de manière à recevoir ses rayons sur le miroir réflecteur de notre microscope, et examinons quelques poils pris sur les animaux que nous venons de voir. Chaque annélide en porte un ou deux faisceaux au bord externe de ses pattes, et ces soies plus fines, mais bien plus raides qu’un cheveu, semblent disposées des deux côtés de l’animal pour le protéger contre ses ennemis. Un seul regard va confirmer cette idée. Il n’est peut-être pas d’arme blanche inventée par le génie meurtrier de l’homme dont on n’eut pu trouver ici le modèle. Voilà des lames recourbées dont la pointe présente un double tranchant prolongé, tantôt sur le bord concave, comme dans le yatagan des Arabes, tantôt sur le côté convexe, comme dans le cimeterre oriental. En voici qui rappellent la latte de nos cuirassiers, le sabre-poignard des artilleurs, ou le sabre-baïonnette des tirailleurs de Vincennes. Et puis ce sont des harpons, des hameçons, des lames tranchantes de toute forme, légèrement soudées à l’extrémité d’une tige aiguë. Ces pièces mobiles sont destinées à rester dans le corps de l’ennemi, tandis que le manche qui les supportait deviendra une longue pique tout aussi acérée qu’auparavant. Voici encore des poignards droits ou ondulés, des crocs tranchans, des flèches barbelées à rebours pour mieux déchirer la plaie, et qu’une gaîne protectrice entoure