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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/393

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LE DERNIER OBLAT.

commençaient déjà à réciter mentalement les prières qu’ils allaient bientôt psalmodier dans le chœur. D’autres lisaient assis à l’écart, d’autres encore allaient et venaient dans le parterre, la bêche ou l’arrosoir à la main, et s’empressaient de donner en passant quelques soins à ces belles fleurs qu’ils semblaient cultiver avec une sorte d’amour. Mais, en se livrant à ces occupations, à ces délassemens, ils se regardaient à peine. Ceux même qu’une commune passion pour l’horticulture réunissait dans les allées étroites du parterre, autour des plantes rares, des fleurs magnifiques, objets de leur admiration, de leur continuelle sollicitude, s’adonnaient à ces soins avec une activité silencieuse.

La voix du père Anselme arracha enfin Estève à ses observations. Il se leva vivement, et, reportant ses regards dans l’intérieur de la cellule, il se trouva en face de la figure imposante et grave du prieur. Alors, pour la seconde fois, il s’inclina, le cœur plein de soumission, d’humilité, de foi vive et sincère.

— Mon fils, dit le père Anselme, je savais depuis long-temps que le dessein de vos parens était de vous envoyer dans notre maison, mais je ne vous attendais pas encore. Rendons grâce à Dieu, qui vous a inspiré de venir droit à nous. Celui qui, pour arriver au cloître, veut passer par les voies du monde, risque de se perdre avant d’être au but. Une vocation tardive n’est jamais une bonne vocation, et ce n’est qu’à votre âge qu’on embrasse sans peine notre saint état. Votre intention est sans doute de prendre bientôt l’habit ?

— Je suis ici pour me soumettre en tout aux conseils, aux volontés de votre révérence, répondit Estève d’une voix timide.

— Bien. Mais, avant de revêtir l’habit de saint Benoît, savez-vous, mon cher fils, à quoi vous vous engagez ?

— Oui, mon père, je le sais.

— Vous connaissez les obligations, les devoirs de la vie religieuse ; on vous en a expliqué l’étendue et la rigueur, continua le prieur d’une voix lente et grave ; maintenant c’est à moi, votre supérieur, votre père selon Dieu, de vous les rappeler une dernière fois avant de vous admettre dans notre sainte maison. Les trois vœux que vous allez prononcer sont irrévocables. Celui qui les violerait subirait en ce monde un châtiment terrible, et serait condamné dans l’autre pour l’éternité. Comprenez-vous bien votre sacrifice et vos engagemens ?

— Je les comprends, mon père, et je m’y soumets avec joie.

— Êtes-vous prêt à accomplir rigoureusement le vœu de pauvreté ?

— Oui, mon père, répondit Estève en jetant un regard involon-