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cellules restèrent closes, aucun bruit n’annonça que les novices achevaient de s’habiller pour se rendre au chœur.

Alors Estève pensa qu’ils étaient descendus au premier coup de cloche, et il se décida à les aller trouver. La crainte de mériter quelque reproche l’emporta sur le vague malaise qu’il ressentait à la pensée de traverser le monastère seul au milieu de la nuit. Il fit une courte prière et commença à descendre. Dès les premiers pas, il sentit se dissiper l’espèce de frayeur qui, un moment, avait fait battre son cœur plus vite, et, sûr malgré l’obscurité de reconnaître son chemin, il avança sans hésitation.

L’escalier du dortoir des novices aboutissait à l’une des quatre portes du petit cloître ; les clartés de la lampe qui éclairait le corridor guidèrent Estève jusqu’aux dernières marches ; là il se trouva environné de ténèbres, mais, en poussant la porte, il sentit un air plus frais souffler à son visage, et il aperçut le ciel à travers les arcades du cloître. Un profond silence régnait sous ces voûtes, dont le plus léger bruit eût éveillé les sonores échos, et un faible crépuscule éclairait les dalles qui, selon la tradition, couvraient des sépulcres où dormaient depuis cinq siècles les premiers moines de Châalis.

Le ciel était calme, une légère brume baignait l’atmosphère, et la lune voilée ne laissait tomber qu’un pâle rayon sur cette enceinte, dont chaque pierre était un tombeau. Les carrés de gazon du préau ressortaient entre les allées droites et couvertes d’un sable blanchâtre, comme de vastes linceuls noirs bordés d’argent. C’était un tableau plein d’un charme mélancolique, d’une sombre poésie, et qui eût frappé quiconque avait l’ame assez ferme pour se trouver sans vaines terreurs en pareil lieu à une pareille heure. Estève l’éprouva ; il s’arrêta, en proie à une émotion indéfinissable, et se recueillit un moment dans cette impression qui n’était pas sans douceur ; ensuite, traversant le préau, il se trouva de l’autre côté du cloître, à l’entrée d’une longue galerie dont la porte donnait dans l’église. En approchant de cette porte, Estève s’étonna de ne pas entendre la psalmodie des moines. Il l’entr’ouvrit cependant, et passa le seuil. Alors, à la lueur de la lampe qui veillait dans le sanctuaire, il vit que les stalles étaient vides et l’église déserte : évidemment ni les novices ni les religieux n’avaient quitté leurs cellules, et le frère sacristain seul s’était levé pour sonner matines.

Après une courte pause, Estève revint sur ses pas, presque confus de son excès de zèle. Telle était sa soumission, sa pieuse indulgence, qu’il s’accusait, au lieu de blâmer la dévotion commode de