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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/407

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LE DERNIER OBLAT.

lui était pas permis de rester au chœur après les autres, et sa bonne intention, l’esprit de dévotion et de charité qui l’avaient fait agir, n’eussent pas excusé sa désobéissance.

Estève prit le livre posé sur l’appui du prie-Dieu et l’ouvrit avec quelque émotion. Les premiers mots qui frappèrent ses regards furent ceux qui commencent le LXXXVIIe psaume : « Seigneur Dieu, mon Sauveur, je crie vers vous nuit et jour.

« Car mon ame est accablée de tristesse, et je suis près de descendre au tombeau.

« Déjà l’on me considère comme ceux que vous avez éloignés de votre mémoire et que votre main a retranchés du nombre des vivans.

« Mes ennemis m’ont précipité au fond de l’abîme : ils m’ont enseveli dans les ombres de la mort. Seigneur, écoutez mes cris ! »

Ces paroles sinistres, ce cri de détresse, troublèrent Estève. Il referma le livre avec un mouvement d’effroi ; mais cette impression s’effaça promptement. Cette fois la raison vint en aide à la foi ; l’élève de l’abbé Girou, loin de s’abandonner à une crainte superstitieuse, se repentit de la vaine et dangereuse curiosité qui l’avait poussé à chercher dans les livres saints une sorte de présage, et, après avoir achevé ses actions de graces, il sortit du chœur, tranquille et recueilli dans de pieuses pensées.

Ce fut ainsi qu’Estève entra dans la vie religieuse. Deux jours plus tard, il reçut l’habit des mains du prieur, et commença ses deux années de noviciat.

IV.

La vie que menaient les novices sous l’autorité immédiate du père-maître était douce et monotone. Les exercices religieux et de longues récréations prenaient tout leur temps ; les études étaient nulles chez eux ; la science théologique même n’y était pas en grand honneur. L’entrée de la bibliothèque leur était interdite, et ils ne lisaient guère d’autre livre que le formulaire, qu’ils savaient par cœur.

Dans les commencemens de son noviciat, Estève éprouva, malgré sa ferveur, un secret ennui ; ses heures d’oisiveté lui pesaient ; il regrettait le travail aride auquel l’avait accoutumé l’abbé Girou. Mais lorsqu’il s’adressa au père-maître pour lui demander des livres et la permission d’étudier pendant les récréations, celui-ci lui répondit :

— Ah ! mon cher enfant, la vraie sagesse n’est pas dans ces gros livres ; laissez le troupeau noir des moines de Cluny fouiller les vieux