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ESSAIS DE PHILOSOPHIE.

« ce n’est qu’au point de vue où nous place notre condition humaine que nous pouvons parler d’espace et d’êtres étendus, et que, si nous sortions de cette condition subjective qui fait que nous pouvons recevoir des intuitions externes, alors l’espace ne signifierait plus rien. » Il suffit d’y réfléchir attentivement pour reconnaître que Kant ne pouvait tenir un autre langage. M. de Rémusat s’est peut-être trop préoccupé de l’existence extérieure de l’espace. « L’espace, dit-il, est certainement nécessaire ; anéantissez le ciel et la terre, l’homme et Dieu, l’espace subsiste. Il est le contenant de la création ; il rend la création possible, si d’ailleurs elle est possible : il lui est aussi nécessaire que le créateur. » Aristote en a dit autant de l’absence de contradiction, ou de la possibilité logique abstraite. « L’espace, dit encore M. de Rémusat, est divisible, pénétrable, homogène, infini, incréé, éternel, nécessaire ; le sujet de tous ces modes ne peut être un pur néant. » Mais tous ces modes, à l’exception du dernier, sont des attributs négatifs ; car on peut dire du néant qu’il est incréé, divisible, éternel, infini même, dans le sens dont il est ici question, c’est-à-dire sans limites ; et, quant à la nécessité, la question est de savoir si l’espace est nécessaire comme idée ou comme objet. L’arrière-pensée de M. de Rémusat est d’arriver par l’espace à une démonstration rationnelle de la matière. À quoi bon, puisqu’il admet, dans la sensation, le jugement primitif et nécessaire de l’existence du non-moi ? D’ailleurs, la démonstration ne prouve rien, et, si elle prouvait, elle prouverait trop. La voici sans y rien changer : « Ou il n’y a pas d’espace, ce qui est impossible, ou, s’il y a de l’espace, il y a nécessairement quelque chose dedans. » M. de Rémusat ne prend-il pas trop facilement sa seconde proposition pour accordée ? Et ne reste-t-il pas à se demander si l’espèce de difficulté que l’on trouve à concevoir l’espace vide n’est pas tout simplement une de ces deux choses : ou l’impossibilité où nous sommes d’imaginer le néant, ou la preuve que la nécessité de l’espace n’est pas absolue, mais relative, et qu’elle commence pour l’esprit au moment où il admet l’étendue ? Ensuite, si l’espace suppose son contenu, cela est également vrai de toutes les parties de l’espace ; il n’y a donc pas de vide, et M. de Rémusat déclare en effet que tout est plein. Or, dès que l’on admet que tout est plein le mouvement devient impossible. M. de Rémusat, pour échapper à cette difficulté, établit que les deux forces d’attraction et de répulsion qui remplissent l’espace, et que nous appelons la matière, n’agissent pas partout avec la même intensité. Cette explication est-elle suffisamment claire ? Et si la ma-