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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/45

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LE DERNIER OBLAT.

templation ; mais la religion, qui défend tout témoignage excessif, même lorsqu’il s’agit de l’attachement le plus naturel et le plus légitime, retenait chez la marquise l’expression de ses sentimens. Elle s’interdisait ces caresses, ces douces paroles, dont les mères sont si prodigues, et réprimait continuellement tous les élans de son amour. Estève répondait à cette affection sérieuse et calme en apparence par une tendresse infinie, une profonde vénération. Il y avait encore dans les témoignages de cette tendresse quelque chose d’enfantin et de charmant qui faisait parfois sourire la triste mère. Estève n’avait pas perdu l’habitude de se reposer à ses pieds, la tête appuyée sur ses genoux, et toujours prêt à écouter quelque récit, l’histoire de quelque enfant prédestiné devenu un saint, ou bien celle de quelque image miraculeuse. C’était encore près de sa mère qu’il se réfugiait dans ses jours de trouble et de chagrin, lorsque l’abbé Girou l’avait regardé presque sévèrement pour une légère faute, ou bien lorsque une vague inquiétude s’emparait de son esprit, lorsque des idées qu’il ne pouvait pas formuler naissaient dans son cerveau semblables à ces germes qui, cachés trop profondément dans le sein de la terre, ne peuvent se faire jour, et périssent faute d’air et de soleil. Mais ces momens d’affliction étaient rares. Ordinairement Estève accourait calme et content près de sa mère ; il restait avec elle pendant tout le temps de sa récréation ; puis, l’heure du travail venue, il allait sans impatience et sans ennui recommencer la tâche accoutumée. La présence de Mme Godefroi l’avait d’abord effarouché ; mais bientôt il l’aima de tout son cœur. Pourtant il ne put jamais s’enhardir jusqu’à une certaine familiarité, et il ne lui témoignait en retour de ses bontés qu’un timide respect. Dans les conversations que la vieille dame provoquait, il montrait habituellement un esprit droit, mais simple et paresseux ; nul rayon ne traversait les ténèbres de son intelligence, nulle corde ne vibrait dans son ame endormie. Cependant, lorsque sa sensibilité était excitée, lorsque les seules facultés qui avaient pu se développer en lui recevaient une vive impulsion, il trouvait, pour exprimer ses sentimens, des mots qui plus d’une fois étonnèrent Mme Godefroi, en trahissant les trésors cachés de son intelligence. Alors la vieille dame arrêtait sur lui des regards inquiets, et disait en son ame : — Fasse le ciel que je le sauve du froc et du couvent !

Quinze jours s’écoulèrent ainsi, et telle était l’influence de cette vie monotone et murée, qu’elle commençait à agir sur le caractère de Mme Godefroi et à calmer son activité d’esprit. La vieille dame