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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/521

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REVUE. — CHRONIQUE.

On sait comment l’insurrection, un moment étouffée par les promptes mesures d’Ibrahim, fut ressuscitée par la propagande et par les armes de l’Angleterre. Le vieil émir Beschir, selon sa coutume invariable, attendit la fortune. Retiré dans son palais de Bettedin, il assista aux exploits des Francs et à la chute de la domination égyptienne ; puis, quand il vit où était définitivement la force, il passa aux Anglais, le 12 octobre 1840, et s’embarqua pour Malte avec tous ses trésors. Il vit aujourd’hui près de Constantinople, à Arnautkisny, dans une délicieuse résidence sur le Bosphore, avec une suite de quatre ou cinq cents hommes, et toujours prêt à rentrer dans la montagne.

Nous avons cru devoir tracer cette rapide esquisse de l’histoire des Druses et des Maronites pour éclaircir la situation actuelle des populations du Liban. On voit que, bien que dépendant nominalement de la Porte, elles ont cependant toujours joui d’une complète liberté politique, et qu’au premier rang de leurs priviléges se trouvait celui de n’être gouvernées que par un prince de leur nation. Quel a été le sort de la montagne depuis qu’elle s’est soustraite à la dure domination de Méhémet-Ali ? La Porte a repris avec les Druses et les Maronites sa politique séculaire, celle de la division. Elle a armé les païens et les chrétiens les uns contre les autres ; elle a lancé les adorateurs du veau sur les adorateurs du Christ, et les malheureuses populations du Liban n’ont fait qu’échanger l’oppression égyptienne contre l’anarchie ottomane. À peine les alliés avaient-ils remis les Turcs en possession de la Syrie, qu’ils se sont vus obligés de protester unanimement contre les excès commis par les troupes du sultan. Dès le 11 février 1841, les consuls d’Angleterre, d’Autriche, de Prusse et de Russie adressaient une note collective au séraskier, dans laquelle ils disaient : « Le pillage et les violences qu’ils (les Albanais) ont exercés sur leur passage ont répandu la terreur parmi les habitans ; dans plusieurs localités, ces derniers ont eu recours aux armes pour la défense de leurs habitations et l’honneur de leurs familles… Les soussignés s’attendent à ce que des mesures efficaces soient prises, afin de réprimer le renouvellement de ces désordres et de rassurer la population[1]. »

À la fin de l’année, les Druses, suscités par la Porte, descendaient par bandes dans les villages chrétiens et exterminaient les Maronites. Jamais la montagne n’avait présenté un tel spectacle de désolation. On a beaucoup parlé à cette occasion des intrigues anglaises ; nous avouons que nous n’en avons pas trouvé la trace, et que même nous aurions peine à en comprendre le but. L’Angleterre n’est pas plus intéressée que nous à la destruction des populations chrétiennes du Liban, et nous ne voyons pas, du reste, que sa diplomatie ait eu le plus grand succès en Orient depuis plus d’un an. Nous la trouvons d’abord en lutte avec le gouverneur envoyé en Syrie par la Porte, Izzet-Méhémet-Pacha, aujourd’hui grand-visir. C’est ce pacha qui avait autrefois livré Varna aux Russes, qu’on appelait le tyran d’Angora, et qui faisait donner cinq cents coups de bâton à son cuisinier parce qu’il avait mis

  1. Correspondence relative to the affairs of the Levant, part. III, 319.