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DU CALVINISME.

un pays où la liberté d’écrire lui manque, où il faudrait acheter une sûreté précaire, et trahir sa foi par un lâche silence. La patrie de Calvin n’est plus Noyon, ni Orléans, ni Paris ; c’est toute terre où il est permis aux chrétiens réformés de penser et de vivre en fidèles serviteurs de Jésus-Christ. Il partira, il ira demander aux chrétiens évangélistes de Bâle, de Strasbourg, un asile et les moyens de ne pas rester inutile à la cause commune. Telle est la puissance de la vérité, ou du moins de ce que l’homme prend pour elle, que volontairement il abandonne en son nom jusqu’au pays qui l’a vu naître. Ainsi dans les jours antiques des sages allaient fonder des systèmes et des lois loin du sol natal. Le christianisme, dont l’avènement et le triomphe furent mortels aux formes et aux institutions du monde ancien, augmenta chez l’homme cet oubli de la patrie. Il envoya des Gaulois et des Germains dans les déserts de l’Afrique. C’est qu’une grande passion dévore toutes les affections ordinaires, et qu’elle échappe par ses élans à ce qui touche et tourmente les autres hommes.

Quand Calvin arriva à Bâle, y vit-il Érasme ? La critique de Bayle ne permet guère de croire à cette entrevue. Quoi qu’il en soit, le spirituel douteur, qui avait indisposé contre lui protestans et catholiques, devait éprouver pour Calvin une réelle antipathie. Celui-ci n’avait encore rien publié qui eût appelé sur lui l’attention du monde théologique, mais il roulait dans sa tête le plan de l’Institution chrétienne, et il portait dans ses discours le dogmatisme hautain qui devait inspirer ses écrits. À Bucer, qui lui demandait son opinion sur Calvin, Érasme, comme on le prétend, a-t-il répondu : « Je vois une grande peste qui va naître dans l’église contre l’église ! » La violence de ce mot le rend tout-à-fait invraisemblable. Les jugemens d’Érasme, quand même ils sont sévères et malveillans, n’ont pas cette virulence grossière.

Pendant que Charles-Quint et François Ier se disputaient la prépondérance en Europe, les idées chrétiennes fermentaient. On remuait les problèmes de la religion, et l’ébranlement des esprits était général. Non-seulement les catholiques étaient troublés, mais les novateurs eux-mêmes étaient livrés à une vive incertitude sur des points essentiels de la foi, incertitude dont les catholiques triomphaient à leur tour. Calvin vit le danger ; il comprit qu’au dogmatisme de l’église romaine il fallait opposer un autre dogmatisme qu’il construirait avec les opinions nouvelles en les épurant. On eût dit qu’il pressentait la polémique redoutable que Bossuet, un siècle plus