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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/54

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REVUE DES DEUX MONDES.

quelque fatal souvenir. Promettez-moi de l’en préserver, promettez-moi que le pauvre oblat ne traversera seulement pas cette Babylone où vous vivez ; promettez-moi de ne pas lui donner même l’espérance de vous revoir en le quittant au seuil de l’abbaye de Châalis…

— Je vous le promets, ma sœur, répondit Mme Godefroi.

— À présent, laissez-moi seule, ma chère Adélaïde, reprit la marquise ; j’ai besoin de prier Dieu. Dans une heure, vous viendrez me retrouver avec mon fils et l’abbé Girou.

Elle alla s’enfermer dans sa chambre. Rien encore n’avait transpiré dans la maison. L’abbé était descendu au jardin pour lire son bréviaire. Estève, n’ayant pas trouvé sa mère au salon, se promenait tristement pendant sa récréation, et réfléchissait peut-être à cette nouvelle visite du marquis, pendant laquelle il avait inutilement attendu l’ordre de descendre pour rendre ses devoirs à son père.

Au bout d’une heure, Mme Godefroi entra silencieusement chez la marquise ; Estève la suivait avec l’abbé Girou. Mme de Blanquefort était assise devant son prie-dieu ; une pâleur effrayante couvrait ses traits décomposés comme ceux d’une mourante ; pourtant elle paraissait calme, et l’accent de sa voix, ordinairement bas et voilé, semblait plus distinct et plus ferme. Elle dit à Estève d’approcher ; il se mit à genoux près d’elle, sur le prie-dieu. Alors, sans faiblesse, sans émotion apparente, soutenue par cet immense amour de mère qui lui commandait de renfermer toutes ses douleurs, d’étouffer son désespoir pour rendre plus facile le sacrifice de cet enfant, dont l’ame allait frémir à ses premières paroles, elle annonça à Estève qu’il allait partir avec sa tante, et que très prochainement il entrerait au noviciat chez les pères bénédictins de Châalis.

À cette nouvelle, le pauvre enfant baissa la tête tout éperdu, et se prit à pleurer amèrement. Il y eut un silence. Mme Godefroi se cachait la figure dans son mouchoir ; l’abbé Girou essuyait en tremblant les grosses larmes qui coulaient sur son visage vénérable ; la marquise seule paraissait calme, et son regard, attaché sur le Christ qui surmontait son prie-dieu, avait une expression ineffable de souffrance contenue et de sombre sérénité.

— Mon enfant, dit-elle avec douceur, en réprimant tous les signes d’un attendrissement qui aurait augmenté la douleur d’Estève, mon enfant, pourquoi pleurez-vous ainsi ? pourquoi votre cœur se révolte-t-il à la pensée de me quitter ? Vous allez consacrer votre vie à Dieu, auquel je vous ai donné avant votre naissance ; vous allez trouver votre père spirituel, vos frères en religion, toute une famille