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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/569

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DU ROMAN DANS L’EUROPE MODERNE.

comme Marini, et qui excellait dans les descriptions comme tous les demi-poètes, eut l’honneur d’une grande édition avec commentaires, les commentaires absorbant le texte et le débordant. L’un de ces commentateurs fut notre ami Sébastien Brandt, le Strasbourgeois, homme savant. Page 25 du volume IIe, on lit ces mots naïfs — Hélas ! ici s’arrête le commentaire du grammairien Murrhon, suspendu par la mort fatale, ici commence le travail de l’honorable Sébastien Brandt. — On commentait Spagnuoli comme on a commenté Ronsard : il y avait si peu de goût au Nord et tant de dépravation au Midi, que l’Europe estimait comparable aux idylles charmantes de Virgile et répétait à l’envi le grossier début de la première éclogue du Mantouan :

Fauste, precor, gelidâ quando pecus omne sub umbrâ
Ruminat !

Ruminat ! Ce mot seul accuse le siècle. Cependant le piquant Érasme et le savant Béroalde admiraient encore le Mantouan. Shakspeare le premier osa se moquer de lui ; il le fait louer ridiculement, par le pédant ridicule Holoferne, dans Love’s labour lost. Élevé à cette école du sermonnaire italien, Brandt crut imiter ses prédications morales et ses beaux symboles ; mais le génie de son pays l’entraîna, il fit autrement et mieux. Il fut rude, grossier, bizarre, mais original. Rien de plus amusant que de voir cette poésie allemande couvée par une mère italienne, rester allemande en dépit de la couveuse, l’allégorie du Mantouan devenir individualité chez le Strasbourgeois.

Il est vrai que cette individualité est un peu vague encore. Elle moralise avant tout. Chez Barklay, le traducteur anglais, la sève de la vie réelle et de l’observation positive se révèle mieux. Brandt a inspiré Rabelais, qui transforme cette moralité commune en vive et philosophique ironie. Barklay le traduit, en faisant du lieu-commun une observation spéciale et énergique.

L’Europe était émue. Les couronnes pleuvaient sur Brandt, qui ne manquait pas d’esprit et surtout d’humeur. L’abbé Trithème appela son livre un divin livre. Chacun y voyait le portrait de son voisin, de ses parens, peut-être de sa femme, — avec de si belles gravures sur bois ! On y admirait M. le conseiller, et MMe la conseillère, et le marchand, et le moine gourmand et le savant de contrebande, et le fat, et l’escroc, et la femme colère, et le mari complaisant, et tous ces caractères devenus lieux-communs ; mais le lieu-commun n’est qu’une bonne chose qui a trop servi. Savantes et morales facé-