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DU ROMAN DANS L’EUROPE MODERNE.

Mes fous très chers, allez un peu moins vite !
Voici venir huit charmans compagnons
Qu’il faut classer et suivant leur mérite ;
Très ignorans, très sots et très gloutons,
Très malfaisans, très fats et très poltrons ;
Au demeurant ce sont de bons apôtres !
Place pour eux, très chers ! ils sont des nôtres !

Cette traduction, que j’ai soin de calquer sur le texte, doit laisser apercevoir que notre homme ne manquait ni de verve, ni de trait, ni de grace. Le portrait du faux savant, ou plutôt du faux sage, placé comme pilote sur le navire, et qui, chez Barklay, a beaucoup plus de finesse et de verdeur que chez son maître Sébastien Brandt, mérite aussi d’être cité. Ce fou qui ouvre la marche prend la parole :

Sur l’océan de la folie humaine,
Voyez errer notre leste carène !
Au gouvernail, assis paisiblement,
Roi de mes fous, à mon gré je les mène,
Et le vaisseau flotte gaillardement.
Sur mes rayons, des livres par centaine
Comme un savant me font considérer ;
Je ne lis rien et me laisse adorer.

C’est mon état de passer pour un sage.
Pour un savant et profond personnage
Chacun me prend ; souvent épousseté
De mes bouquins le pompeux étalage
Au grand jamais par moi n’est consulté.
Mais je les traite avec reconnaissance,
Je les habille avec magnificence,
Je les consulte à grands coups de plumeau :
Damas, satin, pour eux rien n’est trop beau.

Ces chers bouquins ! je les choie et les aime !
Dans la splendeur et l’ordre accoutumé
Je les conserve avec un soin extrême.
En les perdant je me perdrais moi-même.
Tout mon pouvoir en eux est enfermé.
Un ergoteur me rend-il sa visite ?
Aux argumens que le pédant débite
Point ne réponds. Pourquoi me fatiguer ?
À son loisir il peut épiloguer.
A-t-il fini ? Par la main je le mène
Vers mon trésor de la science humaine ;