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Il vint près de la chaise longue, et, se penchant vers la malade, il serra contre son visage et contre ses lèvres la main qu’elle lui tendait. Alors la lampe, l’éclairant en face, montra ses traits dévastés, ses yeux éteints et la pâleur de son front.

— Oh ! mon enfant, est-ce bien toi ? s’écria Mme Godefroi avec un accent indicible de douleur et d’épouvante.

Puis, faisant signe aux deux jeunes femmes de s’éloigner, elle serra plus étroitement la main d’Estève et l’attira encore plus près d’elle.

— Mon fils, dit-elle à voix basse et avec cet accent bref particulier aux esprits sagaces et résolus dans les circonstances suprêmes de la vie ; mon fils, le couvent est, dit-on, pour ceux qui l’habitent, le paradis ou l’enfer en ce monde. Qu’a-t-il été pour vous ? dites, répondez-moi sans scrupule et sans crainte.

— L’enfer ! répondit Estève.

— Ah ! je l’avais prévu ! s’écria douloureusement Mme Godefroi.

Un silence suivit ces paroles. La malade, épuisée, avait laissé retomber sa tête sur les coussins et semblait réfléchir. Elle entrevoyait la possibilité d’un changement dans l’existence d’Estève, et calculait les chances qu’il y avait pour lui dans l’avenir. Dès ce moment, elle résolut de mettre à sa disposition les moyens de sortir un jour du couvent, si le dégoût de la vie monastique l’emportait sur les scrupules de sa conscience et sur toutes les considérations humaines.

— Mon cher enfant, lui dit-elle, il faut que nous ayons ensemble un long entretien. Cette nuit, vous veillerez près de moi, et je vous parlerai.

— Hélas ! pourquoi cette nuit, lorsque vous avez tant besoin de repos ? répondit Estève. Pourquoi, lorsque vous êtes si souffrante, renoncer à vos heures de sommeil ? Non, non ; je resterai près de vous, mais vous ne veillerez pas pour me parler.

— Mon enfant, il y a trois mois que je n’ai dormi, répondit Mme Godefroi avec un sourire triste ; ces heures que je veux employer à vous entretenir, je les passe ordinairement dans une cruelle insomnie. À cette nuit donc ; nous serons seuls, il le faut pour ce que j’ai à vous dire.

Les deux jeunes femmes se rapprochèrent, et la conversation devint générale. Les fils de Mme Godefroi étaient absens, et ne devaient revenir à Paris que dans quelques jours, mais leur jeune famille était restée autour de la pauvre malade. Les brus, les petits-