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nature, de l’ame humaine, et reconnaître le jeu divin, le poète caché, pour me servir d’une expression originale de Schubert, là où l’on s’efforçait de ne voir qu’un engrenage matériel de forces mécaniques, et c’est justement avec ce poète caché, ce poète de l’ame, que Justin Kerner vit en rapport intime ; c’est vers ce sens prophétique, révélateur, que sa nature sentimentale et contemplative, que son individualité l’entraîne. De là une poésie d’inspiration plutôt que de fiction, une poésie dénuée de manière, d’éclat, mais fortement empreinte d’un caractère de vérité, et toujours, ouvertement ou par symbole, parlant à l’ame. Sous ce point de vue, la direction poétique de Kerner et sa tendance magnétique se confondent ; et si sa philosophie a pour but de rechercher partout le principe spirituel, mystique, ignoré ou méconnu, et de l’attirer dans le cercle de notre activité prosaïque, sa poésie est-elle autre chose qu’une plainte monotone, le chant douloureux de l’ame qui languit dans la nuit ou l’ombre et soupire vers la lumière, la délivrance ? De bonne heure ce penchant vers la sympathie et le magnétisme se fait sentir dans ses productions poétiques, comme, en revanche, la poésie intervient dans ses spéculations démoniaques ? Je trouve, dans un de ses contes écrit il y a près de trente ans, cette peinture d’un médecin idéal, qui pourrait bien n’être que son portrait :

« Non loin de là s’élevait la maison d’un homme singulier ; on l’appelait maître Lambert ; il passait pour un grand médecin, et tous les malades, ceux du voisinage et ceux des contrées lointaines, venaient à lui. On disait qu’il opérait des cures merveilleuses par la force de la sympathie, et conservait des secrets profonds dans de vieux manuscrits héréditaires. Ce qu’il y a de certain, c’est que c’était un homme qui, secouant la poussière de l’école, s’était donné de lui-même à la nature, en véritable enfant, avec simplicité, avec amour, libre des influences perturbatrices de la vie du monde. La nature, apprivoisée en quelque sorte, le laissait faire. Il connaissait ses influences, mais sans vouloir jamais les formuler en règles. Il avait observé attentivement le cours des étoiles et leurs révolutions, la vie et la mort des animaux et des plantes. Il avait plongé dans les profondeurs de la terre pour y surprendre le travail des minéraux et des métaux, et plus d’un prodige se révélait à son ame paisible, inaltérable, dont une conscience étrangère à la nature, en proie à de vulgaires impressions, n’aurait pas même eu jamais le plus lointain pressentiment. « La nature, cette bonne et généreuse mère, s’écriait-il souvent, nous prend volontiers dans ses bras et nous révèle les harmonies de son être, pourvu que nous consentions à ne pas prendre avec elle des airs de docteurs. Comme une mère attentive ouvre ses bras à son enfant, qui commence à peine à courir et lui montre ainsi la route de son sein, de même fait