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REVUE DES DEUX MONDES.

Au lieu d’une histoire médiocre de la scholastique, M. Bouillier nous a donné une excellente monographie sur Descartes[1]. M. Bouillier est le professeur de philosophie de la faculté des lettres de Lyon, et sans contredit l’un des professeurs les plus habiles et les plus distingués de l’Université. L’histoire de la révolution cartésienne qu’il vient de publier a remporté un prix dans un des concours de l’Académie des sciences morales. C’est en effet un mémoire plutôt qu’un livre, et il serait injuste de juger sur un essai, quelque brillant qu’il puisse être, un esprit aussi excellent. Cet ouvrage est conçu avec sagesse ; le style en est clair, facile, et d’une sobriété remarquable ; les idées sont plutôt justes et sensées que profondes et originales. M. Bouillier ne semble pas avoir une connaissance très étendue des sciences naturelles et mathématiques ; mais la faute n’en est pas à lui. Elle est à nous tous, qui ne savons plus creuser qu’un seul sillon ; comme si Descartes ou Leibnitz n’avaient pas été aussi grands par la science que par la philosophie. L’auteur poursuit l’histoire du cartésianisme jusqu’au triomphe éphémère de la philosophie sensualiste ; son livre touche ainsi à toutes les grandes renommées du XVIIe siècle, et nous fait voir l’influence du cartésianisme s’étendant sur toute la littérature et jusque sur la poésie. C’est une lecture attrayante, facile, accessible même aux gens du monde, et que les philosophes peuvent faire encore avec intérêt et avec fruit. Les détails ne sont pas irréprochables ; cependant je ne ferai qu’une seule querelle à M. Bouillier.

Depuis ces dernières années, on a beaucoup parlé de Spinoza, raison de plus pour n’en rien dire qui ne soit exactement vrai. Il est infiniment plus facile de raisonner à perte de vue sur le panthéisme de Spinoza, que de lire une seule page de ces théorèmes et de ces lemmes que quelques écrivains veulent bien transformer en soupirs d’amour et en hymnes à la gloire de Dieu. Pour M. Bouillier, ne craint-il pas d’avoir expliqué d’une façon quelque peu légère l’origine de ce panthéisme ? Tantôt il le fait sortir tout entier de la seule définition de la substance, sans doute d’après ce principe passablement ironique de M. Laromiguière, qu’un grand système de philosophie peut être bâti sur un malentendu ; tantôt il se fait un monstre de cette proposition parfaitement innocente : « Il ne peut y avoir deux substances de même attribut[2], » et il est vrai que Spinoza s’en sert

  1. Histoire et Critique de la révolution cartésienne, par F. Bouillier, professeur à la faculté des lettres de Lyon. Paris, chez Joubert.
  2. Éthique, part. 1, prop.5.